Des enfants squelettiques au milieu des ruines. Des centaines de milliers de personnes torturées par la faim et la soif. Des gens qui en meurent déjà, par dizaines, par centaines peut-être, par milliers bientôt, tandis que les bombes continuent à en tuer d’autres et que les trop rares distributions d’aide alimentaire dégénèrent en fusillades meurtrières contre des civils.
Il n’est pas si fréquent que 111 organisations humanitaires, parmi lesquelles Médecins sans Frontières, Médecins du Monde et Oxfam International, dénoncent ensemble une « famine de masse ». Elles viennent de le faire pour alerter sur ce qui a lieu, aujourd’hui, au cœur de l’été, au XXIe siècle, dans une bande de Gaza au bord de l’asphyxie. Et il est à craindre que les « pauses tactiques » annoncées par Israël sous la pression de la communauté internationale pour permettre d’acheminer un peu de nourriture – mais toujours aucun journaliste – ne changent pas grand-chose à cette situation apocalyptique.
Ce qui se passe à Gaza est un « film d’horreur », a résumé le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, António Guterres. Un film interminable que le monde regarde, épouvanté, en suivant les images de cauchemar qui nous parviennent de cette enclave coupée du reste de la planète. Près de deux ans après le début de la guerre menée à Gaza, on y compte près de 60 000 morts, dont près de 18 000 enfants, et plus de 140 000 blessés.
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C’est bien dans ce contexte d’urgence vitale que la France, par la voix d’Emmanuel Macron, va enfin reconnaître l’Etat palestinien devant l’ONU en septembre. Et c’est dans les mêmes circonstances tragiques que le Royaume-Uni et le Canada viennent d’annoncer qu’ils pourraient faire, eux aussi, ce geste historique. Avec une rhétorique inquiétante qui ne recule devant aucun paradoxe, Israël et ses soutiens, notamment dans l’extrême droite et une partie de la droite française, s’insurgent contre une décision symbolique qui récompenserait « la violence ». Comprendre : celle du Hamas et des abjects massacres terroristes qu’il a commis sur le sol israélien, le 7 octobre 2023, en y tuant près de 1 200 personnes et capturant 251 otages.
La reconnaissance d’un Etat palestinien n’a de sens qu’à côté de celle de l’Etat israélien
C’est évidemment tout le contraire. La France a toujours et très justement condamné les massacres du Hamas. Elle a toujours et très justement rappelé le droit d’Israël à exister et à se défendre contre ses ennemis. La reconnaissance d’un Etat palestinien, que l’extrême droite israélienne veut à tout prix saboter, n’a de sens qu’à côté de celle de l’Etat israélien, que le Hamas rêve de supprimer : cette position équilibrée est celle de la France depuis 1967. Les bavards qui s’autorisent à invoquer les mânes du général de Gaulle à tout bout de champ pourraient au moins avoir l’honnêteté de s’en souvenir, plutôt que de cautionner l’hubris mortifère de Benyamin Netanyahou. Comme disait Albert Camus, il faut savoir « se battre pour sa vérité et veiller à ne pas la tuer des armes mêmes dont on la défend ».
Enfin, cette position française est aussi celle du « camp de la paix », que notre journal a toujours défendu et dont l’ancien ambassadeur israélien Elie Barnavi rappelle avec éloquence, dans nos pages, qu’il « n’a pas disparu » dans son pays. Il n’y a pas d’autre camp à choisir, contre les fanatiques de tous bords. Donc contre les suprémacistes israéliens qui, loin d’avoir comme priorité la libération des rares otages du Hamas encore vivants, souhaitent désormais clairement l’expulsion des habitants de Gaza et l’annexion de la Cisjordanie.
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Personne ne doit s’y tromper. Le sort, les valeurs, l’image dans le monde, l’identité même des Israéliens sont aussi en jeu dans cette crise abominable qui mine tout le Moyen-Orient. L’écrivain Jean Hatzfeld, cet inlassable scribe du génocide rwandais et de ses conséquences, l’a parfaitement formulé dans « le Monde » : « Une menace pèse sur le peuple palestinien, qui est massacré, mais c’est aussi un renoncement d’Israël à ce qu’il a été. C’est une inflexion du destin de ces deux peuples, dans laquelle Israël peut s’autodétruire. » On l’a déjà écrit ici, il faut le répéter : rien ne peut justifier ce qui est devenu le martyre de Gaza. Ni dans le passé, ni dans le présent, ni surtout dans l’avenir, si l’on veut que chacun puisse, un jour, vivre en paix et en sécurité.