Volodymyr Zelenskyy à Bruxelles, le 19 décembre 2024. MARTIN BERTRAND / HANS LUCAS VIA AFP
En pleine invasion russe, l’Ukraine est secouée par un grave scandale de corruption ayant poussé deux ministres à la démission et forcé le président Volodymyr Zelensky à prendre des sanctions contre l’un de ses proches. Voici ce que l’on sait sur cette affaire portant sur des détournements de fonds massifs dans le secteur de l’énergie, l’une des pires crises à laquelle Volodymyr Zelensky doit faire face depuis le début de la guerre en 2022.
• « Opération Midas »
Le scandale a éclaté lundi 10 novembre, lorsque le Bureau anticorruption ukrainien (NABU) a annoncé avoir mené une série de 70 perquisitions pour mettre au jour un « système criminel » à l’origine du détournement de 100 millions de dollars (environ 86 millions d’euros) dans le secteur énergétique. Nommée « Midas », du nom du roi de la mythologie grecque qui changeait tout ce qu’il touchait en or, cette opération a mené à ce stade à l’arrestation de cinq personnes, dont un ancien conseiller du ministère de l’Energie et un responsable de l’opérateur nucléaire public Energoatom.
Selon le NABU, ce système de corruption obligeait les sous-traitants d’Energoatom à verser « systématiquement » 10 à 15 % de la valeur de leurs contrats en tant que pots-de-vin pour éviter tout blocage des paiements qui leur étaient versés ou pour ne pas perdre leur statut de fournisseur. Les responsables présumés de ce système avaient aussi créé une chaîne décisionnaire parallèle au sein de cette entreprise stratégique, en imposant des « gestionnaires de l’ombre ». L’argent était ensuite blanchi par le biais d’un réseau de sociétés pour la plupart situées à l’étranger.
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• Zelensky sous pression
C’est toutefois la révélation du nom de l’auteur de ce vaste système de corruption qui a provoqué la stupeur : Timour Minditch, 46 ans, un homme d’affaires considéré comme un proche ami du président Zelensky. Cet homme, qui a quitté l’Ukraine peu avant le scandale, sans doute pour Israël selon des médias, est copropriétaire de la société de production Kvartal 95, fondée par Volodymyr Zelensky lorsque ce dernier était un comédien vedette, avant de se lancer en politique et devenir président en 2019.
Selon le NABU, Timour Minditch « contrôlait » le blanchiment d’argent détourné et sa répartition. Il est également soupçonné d’avoir influencé des décisions de hauts responsables du gouvernement, parmi lesquels l’ex-ministre de la Défense, Roustem Oumerov, aujourd’hui secrétaire du Conseil de sécurité.
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• Plusieurs ministres forcés à la démission
L’entourage du président a affirmé à l’AFP que le chef de l’Etat a été pris au dépourvu par ces accusations et qu’il soutenait « pleinement » l’enquête. Face à la montée des critiques, Volodymyr Zelensky a assuré vouloir la « transparence » et exigé la démission du ministre de la Justice, Guerman Galouchtchenko, et de la ministre de l’Energie Svitlana Gryntchouk, qui l’ont soumise mercredi. Guerman Galouchtchenko, ex-ministre de l’Energie, est accusé d’avoir perçu des « avantages personnels ». Svitlana Gryntchouk n’est pas directement visée à ce stade mais elle est considérée comme une personne de confiance de Guerman Galouchtchenko. Un ancien vice-Premier ministre, Oleksiï Tchernychov, est aussi accusé d’être impliqué.
• Pas de réaction de l’UE
Si ce scandale n’a pas suscité pour l’heure de réaction de l’UE, le chancelier allemand Friedrich Merz, dont le pays est le principal bailleur européen de Kiev, a réclamé que Volodymyr Zelensky lutte « avec énergie » contre la corruption.
• De précédentes affaires
L’Ukraine, où la corruption reste un problème récurrent malgré d’importants progrès en la matière, a connu plusieurs affaires retentissantes depuis 2022. En septembre 2023, le ministre de la Défense Oleksiï Reznikov avait été poussé à la démission à la suite de scandales portant sur l’achat pour l’armée d’uniformes et de produits alimentaires à prix gonflés, découverts par les médias. Plus récemment, en avril dernier, une série de responsables de la défense ont été arrêtés, accusés d’être impliqués dans la fourniture à l’armée de dizaines de milliers d’obus défectueux.
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Le système de mobilisation pour l’armée est aussi connu pour être une source de corruption persistante. En 2023, Volodymyr Zelensky avait limogé la totalité des responsables régionaux chargés du recrutement militaire pour éradiquer ce problème. Les relations entre la présidence et les instances et militants anticorruption sont tendues. Cet été, le pouvoir a tenté de priver le NABU et le Parquet anticorruption (SAP), créés il y a dix ans, de leur indépendance avant de faire marche arrière face à la levée de boucliers au sein de la société civile et chez les alliés occidentaux de Kiev. L’Ukraine a été classée à la 105e place sur 180 selon l’indice de perception de la corruption établi par l’ONG Transparency International pour 2024 contre la 142e place en 2014.

