En pleine crise agricole à l’approche de Noël, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard veut envoyer un message d’apaisement aux agriculteurs mobilisés en Occitanie. Elle détaille pour La Dépêche du Midi l’accélération de la vaccination contre la dermatose nodulaire, évoque la création d’une cellule de dialogue scientifique avec les représentants des agriculteurs de la région, et réaffirme l’opposition de la France à l’accord Mercosur.
Avez-vous un message à faire passer pour apaiser la colère du monde agricole, particulièrement vive en Occitanie ?
Annie Genevard, ministre de l’Agriculture : La situation est sanitairement exceptionnelle, et elle a pris en Occitanie une dimension particulièrement vive. Et donc, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, notamment en matière de vaccination. La vaccination sera accélérée, que ce soit dans la zone réglementée, ou dans le cordon sanitaire que nous avons tracé pour tenir compte des spécificités locales.
C’est un défi logistique très important, puisqu’on va vacciner 750 000 bovins dans un délai extrêmement court. En termes de vaccins, nous avons disponibles 900 000 doses. Elles ont déjà été en partie acheminées et elles l’ont été en totalité ce jeudi, puisque 400 000 doses, que l’armée est allée chercher aux Pays-Bas hier, sont arrivées en Occitanie. 500 000 doses étaient déjà arrivées, nous avons commencé à vacciner dès le week-end dernier. Je suis venue d’ailleurs lundi pour assister au lancement de la vaccination, dans une exploitation qui avait été vaccinée le matin même.
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Pour ne pas perdre de temps, nous avons mobilisé l’armée et les moyens militaires – avion et camions – parce que dans cette affaire, la rapidité a beaucoup d’importance. Nous mobilisons également tous les vétérinaires disponibles, parce qu’il faut des doses, mais il faut aussi des bras : vétérinaires libéraux, vétérinaires militaires, vétérinaires retraités, élèves vétérinaires. Une brigade nombreuse va pouvoir vacciner très rapidement.
J’ai demandé que ce déploiement se fasse dans les meilleurs délais. En Ariège, j’ai demandé que les 1 000 fermes soient vaccinées d’ici au 31 décembre.
Les 900 000 doses couvrent donc toute la zone concernée en Occitanie ?
Oui, toute la zone concernée, et même au-delà. Il n’y a aucun problème de disponibilité de vaccins. J’avais anticipé dès la semaine dernière : nous avons toujours un stock d’avance et j’avais recommandé près d’un million de doses. Le jour même où j’ai appris qu’il y avait un cas en Ariège, j’ai commandé des doses supplémentaires.
Vous aviez en tête l’exemple de la Savoie, l’été dernier ?
Le facteur rapidité est toujours déterminant. Le défi est d’autant plus grand que là, c’est la zone la plus nombreuse que nous ayons jamais vaccinée contre cette maladie.
On a pourtant l’impression que les cas se multiplient…
Non. Il n’y a, à date, aucun foyer, tous ont été éteints. Nous avons eu quatre cas, hors Pyrénées-Orientales où la maladie est apparue préalablement, mais où il n’y a plus de foyers à l’heure où je vous parle. Les quatre cas se trouvaient en Ariège, dans les Hautes-Pyrénées, en Haute-Garonne et dans l’Aude.
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Cela enflamme les esprits, mais encore une fois, à date, il n’y a pas de cas de dermatose en France d’un troupeau qui n’aurait pas été abattu quand il le fallait. Il y a des suspicions tous les jours, mais elles sont infirmées pour le moment. Il faut ramener les choses à leur juste proportion.
La vaccination est un horizon d’espoir pour les éleveurs. C’est le moyen le plus sûr d’enrayer la maladie, de protéger les troupeaux et d’éviter leur perte.
Justement, sur la question de l’abattage total, une alternative a été évoquée en Ariège et elle serait étudiée à l’heure actuelle. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?
Le cas de l’Ariège a suscité beaucoup d’émotions. Je suis une femme de dialogue. Les éleveurs ont peur : peur de perdre leurs troupeaux, et cette perspective les plonge dans l’angoisse et la colère. Je la comprends. Je l’ai vue et entendue lundi encore en Occitanie, au contact direct des exploitations.
Lundi soir, lors d’une réunion de deux heures, le dialogue a eu lieu. Leur demande, c’est d’éviter l’abattage total. Pour renouer le dialogue, j’ai proposé, avec le préfet de région et la présidente du conseil régional d’Occitanie, la mise en place d’une cellule de dialogue scientifique, car la stratégie sanitaire émane de scientifiques et de la
Commission européenne. Il est donc légitime de leur poser la question.
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L’État ne fait pas partie de cette cellule. Autour de la table, il y a des représentants des professionnels – trois présidents de chambre d’agriculture (Ariège, Haute-Garonne, Tarn-et-Garonne), le président de la fédération régionale des groupements de défense sanitaire d’Occitanie et le vice-président de la Région – et quatre organismes scientifiques reconnus. Il y a le CIRAD, l’ANSES, des représentants de l’École nationale vétérinaire de Toulouse et de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires. Ils vont échanger sur le protocole sanitaire. Les décisions en matière sanitaire doivent être collectives.
L’objectif d’éradication a été discuté au Parlement de l’élevage et adopté quasi à l’unanimité en juillet, lors de la crise dans les Savoie. Mais en Occitanie, cela suscite un émoi particulier. Je ne peux pas faire comme si c’était la même situation. Je dois y répondre.
Une première réunion a déjà eu lieu ?
Oui, mercredi, à la préfecture de Toulouse, et les débats y ont été très constructifs, ce dont je me réjouis. C’est par le dialogue que nous avançons, collectivement, et que nous vaincrons cette maladie animale. Une nouvelle réunion est prévue lundi. Les professionnels ont posé deux questions précises : dans la mesure où la stratégie vaccinale est massive dans la région dans le but d’atteindre rapidement l’immunité collective, dans quelles conditions est-il possible d’envisager d’éviter le dépeuplement total des foyers, et, en cas de dépeuplement, dans quelle mesure celui-ci pourrait être opéré en abattoir ?
Les scientifiques vont étudier ces points. Je ne préjuge pas des réponses, mais il fallait créer les conditions du dialogue.
Cette réunion de lundi sera-t-elle la dernière ?
Nous verrons. J’ai voulu apaiser et objectiver les choses. Les scientifiques ont un savoir spécifique, les professionnels ont la connaissance du terrain. Seule cette approche peut permettre de trouver des voies de passage.
Je le redis : l’important, c’est la vaccination et l’immunité collective. Il faut que 75 % du cheptel, dans 95 % des fermes, soient vaccinés.
Au-delà de la dermatose nodulaire, d’autres sujets nourrissent la colère agricole… et notamment le Mercosur
Bien sûr. Il y a une profession qui souffre, qui travaille dur et qui gagne peu. En Occitanie, le revenu agricole est faible, certaines filières sont en grande difficulté, comme les grandes cultures céréalières.
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Il y a aussi le poids des normes, la défiance à l’égard des agriculteurs, alors qu’ils font quelque chose d’infiniment précieux : ils nourrissent la population. Et puis il y a le contexte international, notamment le Mercosur. Ma position est constante : l’accord tel quel est un mauvais accord. Le président de la République l’a encore rappelé ce jeudi à Bruxelles : le compte n’y est pas. Il déséquilibrera nos filières sensibles et créera une injustice, en laissant entrer des productions qui ne respectent pas nos exigences. Sans clauses de sauvegarde solides, sans contrôles renforcés, sans mesures miroirs, ce n’est pas possible. La France dira non.
Il y a aussi la PAC : nous voulons un budget non diminué, c’est-à-dire 65 milliards d’euros garantis, et un caractère communautaire préservé. La taxe sur les engrais, quant à elle, doit être neutralisée et, si possible, reportées. Elle ne peut pas s’appliquer au 1er janvier 2026.
Voilà les trois combats internationaux qui pèsent aujourd’hui sur la contestation agricole. Nous travaillons pour trouver les voies de l’apaisement. Le dialogue doit prévaloir.
J’appelle ainsi à une forme de trêve à l’approche de Noël. Beaucoup de travailleurs modestes, y compris des agriculteurs, qui parfois travaillent au cours de la saison d’hiver dans les stations de ski, ont besoin de travailler en cette période. Il y a un devoir de solidarité.

