Des militants ont projeté sur un bâtiment proche de la Maison Blanche une demande de publication des dossiers Epstein. ALLISON BAILEY / NURPHOTO VIA AFP
Donald Trump rattrapé par l’affaire Epstein ? Le locataire de la Maison Blanche est empêtré depuis plusieurs jours dans cette affaire, du nom du financier et délinquant sexuel Jeffrey Epstein, qui fait l’objet d’une multitude de théories complotistes, et sur laquelle le président américain avait justement juré de faire toute la lumière… Retour sur cette affaire en 7 actes.
Acte 1 : l’arrestation… et la mort d’Epstein
Ami des stars et des puissants, Jeffrey Epstein a été arrêté et inculpé en juillet 2019 pour trafic sexuel de mineures et association de malfaiteurs en vue de commettre cette infraction.
Jeffrey Epstein n’a jamais été jugé pour ces faits : ce riche financier avait été retrouvé mort dans sa cellule de prison peu de temps après son inculpation.
La mort du financier, retrouvé pendu dans sa cellule à New York un mois plus tard, avant d’être jugé, a alimenté nombre de théories complotistes selon lesquelles il aurait été assassiné pour empêcher des révélations impliquant des personnalités de premier plan. Il avait déjà été condamné à une courte peine de prison en 2008, notamment pour avoir recruté une mineure à des fins de prostitution.
Des figures proches du mouvement trumpiste « Make America Great Again » (« Rendre sa grandeur à l’Amérique », en français) militent depuis des années pour la publication d’une supposée liste secrète de clients de Jeffrey Epstein.
Mais le 7 juillet, le ministère de la Justice et la police fédérale, le FBI, ont établi dans un rapport commun qu’il n’existait pas de preuve de l’existence d’une telle liste ou d’un chantage envers certaines personnalités. Des annonces qui ont entraîné un déferlement de messages furieux venant de comptes « MAGA » sur les réseaux sociaux. Le président s’en est ouvertement agacé. Il a qualifié cette frange de ses partisans de « stupides », tout en accusant l’opposition démocrate d’avoir orchestré une campagne visant à le mêler à l’affaire.
Acte 2 : Trump-Epstein, une proximité évidente
Donald Trump a été proche de Jeffrey Epstein jusqu’au milieu des années 2000, ce que le milliardaire lui-même a confirmé dans un entretien en 2002 : « Je connais Jeff depuis 15 ans. Un type génial… C’est un plaisir de passer du temps avec lui. On dit même qu’il aime autant les jolies femmes que moi. »
Une vidéo de 1992, qui a ressurgi en juillet 2019, montre ainsi Donald Trump en train de faire la fête avec le financier Jeffrey Epstein, lors d’une soirée organisée par Donald Trump dans sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride, à laquelle participent plusieurs belles femmes blondes, toutes pom-pom girls de grandes équipes de football américain, selon NBC, qui a exhumé la vidéo.
Sur les images, on peut voir le magnat de l’immobilier se pencher vers Jeffrey Epstein, et lui glisser des mots à l’oreille en pointant du doigt les jeunes femmes sur la piste de danse. Selon NBC, il lui aurait alors dit « she is hot » (elle est sexy), avant d’ajouter une seconde blague inaudible.
Fin 2024, Donald Trump est même accusé d’avoir agressé sexuellement une mannequin, Stacey Williams, rencontrée par l’intermédiaire de Jeffrey Epstein durant les années 1990, selon des révélations du quotidien britannique « The Guardian ». Selon la mannequin, cette agression présumée aurait eu lieu à la Trump Tower de New York au début de l’année 1993, en présence d’Epstein.
Stacey Williams raconte s’être rendue chez le milliardaire républicain sur invitation du financier américain Jeffrey Epstein. A son arrivée, Donald Trump l’aurait attirée vers elle, avant de mettre ses mains « partout sur mes seins », ainsi que sur sa taille et ses fesses. Elle confie alors s’être figée parce qu’elle était « profondément troublée », et affirme qu’elle a alors cru voir Donald Trump sourire à Jeffrey Epstein.
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Quelques jours après ces révélations, le journaliste controversé Michael Wolff assure dans un épisode de son podcast « Fire and Fury », relayé notamment par « le Parisien », posséder « une centaine d’heures » d’enregistrements de conversation avec Jeffrey Epstein, dans lequel celui-ci parle « des rouages de la Maison Blanche de Trump et de sa relation profonde et de longue date » avec le milliardaire. « Epstein était totalement préoccupé par Trump et je pense qu’il avait franchement peur », y assure notamment le journaliste.
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Le journaliste décrit les deux hommes comme deux « BFF », autrement dit deux « meilleurs amis pour la vie » : « deux play-boys (…) qui se sont côtoyés pendant près de quinze ans », au cours desquels leurs intérêts communs se sont concentrés sur « l’argent, les femmes et le statut social ». Michael Wolff assure même que Jeffrey Epstein lui a montré une série de photos prises dans sa maison de Palm Beach, sur lesquelles on voit Donald Trump « assis autour de la piscine avec des jeunes filles » aux « seins nus ». « Sur certaines photos, elles sont assises sur ses genoux. »
La chargée de communication de Donald Trump durant sa campagne, Karoline Leavitt, avait à l’époque répondu aux allégations du podcaster en accusant Michael Wolff d’être un « auteur honteux qui crée régulièrement des mensonges pour vendre des livres de fiction parce qu’il n’a manifestement aucune morale ou aucune éthique ».
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Acte 3 : des dossiers jamais publiés
Donald Trump a toujours nié avoir passé du temps dans la propriété d’Epstein sur les îles Vierges américaines où, selon les procureurs, le financier se livrait à un trafic sexuel avec des jeunes filles mineures. L’une des victimes, Virginia Giuffre – qui s’est suicidée en avril, selon sa famille – avait accusé Epstein de l’avoir emmenée en avion à des rencontres sexuelles avec des têtes couronnées et des hommes politiques alors qu’elle était mineure.
Le président avait affirmé avant son élection l’année dernière qu’il n’aurait « aucun problème » à rendre publics les dossiers relatifs à Epstein. Lors du retour au pouvoir de Donald Trump en janvier, son administration s’était ainsi engagée à « lever le voile » sur cette affaire « répugnante ». Mais si son administration a rendu publiques plus de 63 000 pages liées à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, elle n’a, jusqu’à maintenant, pas tenu sa promesse concernant la totalité des dossiers Epstein.
En février, la ministre de la Justice Pam Bondi avait toutefois rendu publics de nombreux documents du dossier, et plusieurs figures conservatrices avaient été reçues à la Maison Blanche pour se voir décerner une copie. Mais ils ne contenaient aucune révélation majeure, et certaines figures MAGA s’agaçaient déjà d’une mise en scène à la Maison Blanche.
Acte 4 : Musk allume la mèche
Il n’y a rien de pire qu’une rupture. Celle entre Elon Musk et Donald Trump a entraîné un déchaînement de tweets entre les deux hommes début juin. D’abord à propos de la « grande et belle loi » budgétaire de Trump. Jusqu’à ce que Musk change de sujet :
« Il est temps de lâcher la grosse bombe : (Trump) est dans les dossiers Epstein », a en effet posté Elon Musk sur X. « C’est la véritable raison pour laquelle ils n’ont pas été rendus publics. » Avant de conclure : « Bonne journée ! »
Elon Musk n’a pas précisé de quels fichiers il parlait et n’a fourni aucune preuve de ce qu’il avançait. Mais ses allégations ont suscité de nouvelles demandes de divulgation des documents… cette fois-ci de la part de démocrates, désireux de retourner la théorie conspirationniste des supporters MAGA contre eux-mêmes. Il a depuis supprimé le message, après des menaces du président américain de couper les aides de l’Etat à ses entreprises.
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Acte 5 : la lettre salace qui éclabousse Trump
L’affaire connaît un nouveau rebondissement jeudi 17 juillet avec un article du « Wall Street Journal » affirmant que Donald Trump avait adressé en 2003 une lettre embarrassante à Jeffrey Epstein, dont il avait été proche.
Le quotidien y affirme que, pour un livre d’or destiné à Jeffrey Epstein en 2003 à l’occasion de son 50e anniversaire, sa compagne Ghislaine Maxwell avait sollicité plusieurs dizaines de ses proches, dont Donald Trump, alors magnat de l’immobilier.
La lettre au nom de Donald Trump comporte plusieurs lignes de texte dactylographié entourées d’un croquis de femme nue, apparemment tracé au marqueur, selon le journal.
« Joyeux anniversaire – et que chaque jour soit un autre merveilleux secret », affirme avoir lu le « Wall Street Journal », sans reproduire la lettre.
La signature gribouillée du futur président apparaît sous la taille de la femme, évoquant une toison pubienne, souligne le « WSJ ».
Donald Trump, en croisade contre les médias traditionnels depuis son retour au pouvoir, a dénoncé sur sa plateforme Truth Social un « “article” mensonger, malveillant, diffamatoire et totalement FAKE NEWS, paru dans (un) “torchon” inutile ».
A la presse, Trump ajoute : « Ce n’est pas moi. C’est une fake news. »
Le patron du « WSJ », Rupert Murdoch, se trouvait dimanche dans la loge de Donald Trump pour la finale du Mondial des clubs, près de New York. « J’ai dit à Rupert Murdoch que c’était une escroquerie, qu’il ne devait pas (publier) cette fausse histoire. Mais il l’a fait, et maintenant je vais lui coller un procès », a écrit le président sur Truth Social.
Acte 6 : la contre-attaque de Trump : « pas moins de 10 milliards de dollars »
Le président américain réplique, en effet, dès le lendemain de la publication de l’article. Donald Trump a en effet attaqué en justice le prestigieux quotidien, son patron Rupert Murdoch et deux de ses journalistes. Il leur réclame « pas moins que 10 milliards de dollars », selon la plainte consultée par l’AFP.
Ils « ont inventé cette histoire pour ternir la réputation et l’intégrité du président Trump, et le présenter de manière trompeuse sous un jour mensonger », peut-on lire dans la plainte.
Une indemnisation de 10 milliards de dollars paraît totalement farfelue, puisqu’elle dépasserait de loin les plus importants jugements et accords en diffamation de l’histoire récente des Etats-Unis. Ces jugements incluent notamment un jugement de 1,5 milliard de dollars contre le théoricien du complot Alex Jones. « Dix milliards de dollars, c’est un montant exorbitant », estime ainsi Jesse Gessin, avocat spécialisé en diffamation et en contentieux relatif au Premier Amendement, auprès de Reuters. « Ce serait le verdict en diffamation le plus important de l’histoire des États-Unis. »
Une somme qui ne fait pas trembler le groupe propriétaire du « Wall Street Journal » : « Nous avons toute confiance dans la rigueur et l’exactitude de nos informations, et nous nous défendrons vigoureusement », a réagi Dow Jones, la société mère du journal.
Acte 7 : Fureur des MAGA et publications au compte-goutte
L’administration Trump avait annoncé début juillet qu’elle ne publierait aucun nouveau document sur le financier Jeffrey Epstein et son réseau d’exploitation sexuelle, entraînant un déferlement de messages furieux sur les réseaux sociaux.
« C’est absolument écœurant », a réagi l’influenceur pro-Trump Alex Jones, connu pour avoir disséminé de nombreuses théories du complot via son émission.
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Tucker Carlson, ancien présentateur de Fox News, a accusé le ministère de la Justice de vouloir « étouffer » la vérité et ainsi d’« insulter la population ». Sur son podcast, l’animateur a mis en garde sur le risque électoral pour Donald Trump et les républicains avec le dossier Epstein. Selon lui, le gouvernement « joue avec le feu » et « crée un vrai extrémisme ».
L’influenceur « MAGA » Mike Cernovich a lui lancé un appel direct au président : « Personne ne croit à la tentative de dissimulation sur Epstein », a-t-il affirmé sur X, avant d’ajouter : « Cela fera partie de votre héritage. Il est encore temps de le changer ! »
Pour tenter d’éteindre l’incendie après l’article du « WSJ », le ministère de la Justice a demandé à un tribunal fédéral d’autoriser la publication des documents judiciaires ayant conduit à l’inculpation de Jeffrey Epstein pour trafic sexuel de mineures en 2019.
Le président américain en avait donné l’ordre la veille à sa ministre Pam Bondi, en réponse aux critiques de ses partisans. Interrogé vendredi à la Maison Blanche pour savoir s’il comptait réclamer la publication d’autres documents liés au dossier Epstein, le milliardaire de 79 ans n’a pas répondu…