J’ai écouté avec attention le discours du chef d’état-major des armées, le général Mandon, devant l’Association des Maires de France, le 18 novembre dernier. Le général rappelle les guerres récentes sur notre continent : Géorgie, Crimée, Ukraine, et indique que la Russie se prépare à un conflit avec les pays européens en 2030. Il nous exhorte à nous tenir prêts, d’abord à faire des sacrifices économiques en donnant la priorité aux dépenses de défense, puis à accepter de « perdre nos enfants » dans un tel conflit. Il nous appelle à « la force d’âme ». Il annonce par ailleurs qu’il a fixé comme objectif aux armées d’être prêtes dans trois ou quatre ans, ce qui est cohérent avec l’échéance de 2030.
Un tel discours appelle plusieurs remarques : le conflit est présenté comme une perspective concrète, même si le général Mandon précise bien sûr que le meilleur moyen d’éloigner le conflit est de s’y préparer. Qui peut annoncer une guerre à une telle échéance en ne proposant pour l’éviter que de s’armer ? Des propos alarmistes visant la mobilisation des opinions publiques génèrent rarement des réactions rationnelles ; ils créent surtout un sentiment de peur et risquent d’alimenter, s’ils sont multipliés, des dynamiques autoréalisatrices. Ils confortent les va-t-en-guerre qui, chaque fois qu’on veut privilégier la recherche de la paix, évoquent la conférence de Munich, en 1938, au cours de laquelle Daladier et Chamberlain, croyant apaiser Hitler, ont accepté l’expulsion des Tchèques des Sudètes au profit des nazis.
Il ne s’agit pas ici de s’aveugler : le retrait des Etats Unis et les tensions en Europe résultant de l’opération russe en Ukraine légitiment le renforcement de l’effort de défense et il appartient aux armées de se préparer à toutes les éventualités. Mais l’évocation d’un conflit possible, sinon probable dont on précise l’échéance, est une autre affaire. Le général Mandon veut nous rassurer en nous disant que, si l’Europe joue collectif, elle sera plus forte que la Russie ; il ne mentionne pas dans son discours qu’un tel conflit impliquerait frontalement pour la première fois dans l’histoire trois puissances nucléaires : la Russie, deuxième puissance nucléaire mondiale, la France et le Royaume Uni (dans l’hypothèse où les Etats-Unis se tiendraient à l’écart).
Le général Mandon, au congrès des maires de France, le 18 novembre 2025, au parc des expositions, à Paris. SOPHIE BELLARD-PICAVET/HANS LUCAS VIA AFP
Ce point majeur n’est pas davantage repris par ceux qui en France envisagent l’envoi de troupes combattantes en soutien de l’armée ukrainienne face à la Russie. Pourtant, au plus fort de la guerre froide, lorsque les peuples hongrois, allemands de l’Est, tchèques ou polonais ont voulu sortir de l’orbite soviétique, les pays occidentaux, Etats Unis en tête, se sont bien gardés d’envisager ou même d’évoquer un conflit armé avec l’URSS. Ils savaient quelles pouvaient en être les conséquences cataclysmiques. Les Américains s’y sont résolus une fois, en octobre 1962, lorsqu’ils ont jugé que l’implantation de missiles soviétiques à Cuba menaçait leurs intérêts vitaux. Il est significatif que cet épisode soit resté isolé depuis lors.
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La responsabilité des politiques est de rechercher la solution des différends et des conflits non par la voie des armes qui ne peut être qu’un dernier recours mais par celle de la négociation. Et c’est bien là que le bât blesse : ce principe pourtant essentiel est en fait largement absent des discours européens. Lorsque la guerre d’Ukraine sera terminée, il faudra bien reparler avec la Russie. A l’évidence les Etats Unis s’y préparent, au moins sur le plan économique.
Il reviendra à l’Europe, justement parce qu’elle est « en première ligne », de chercher à construire avec la Russie une architecture de sécurité qui épargne à l’Europe le conflit dont parle le général Mandon. Nous avons raté à plusieurs reprises l’occasion de le faire avec Gorbatchev et après la chute de l’Union soviétique. C’est pourtant cette perspective qu’il faudra proposer un jour aux Français, aux Européens… et à la Russie.
BIO EXPRESS
Louis Gallois a été notamment PDG de la Snecma, de l’Aérospatiale, et de la SNCF de 1996 à 2006. L’ancien président du conseil de surveillance de PSA (2014-2021) est aujourd’hui coprésident du laboratoire d’idées La Fabrique de l’Industrie, destiné à développer la réflexion sur les enjeux et les perspectives de l’industrie.
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

