Jamais deux initiatives sans trois ? Après l’ultimatum de 50 jours imposé par Donald Trump, la Russie se prépare à un nouveau cycle de pourparlers avec l’Ukraine. Les échanges devraient se dérouler, comme les précédents, en Turquie, à aprtir de ce mercredi 23 juillet. Des discussions que Céline Bayou, géopolitologue spécialiste de la Russie et rédactrice en chef de la revue Regard sur l’Est, anticipe d’ores et déjà comme stériles.
Après deux échecs successifs à Istanbul, au printemps 2022 et en mai 2025, la tenue de nouvelles négociations entre l’Ukraine et la Russie a-t-elle encore une utilité ?
Honnêtement, il est difficile d’espérer quoi que ce soit : les positions des deux dirigeants restent totalement irréconciliables. Volodymyr Zelensky a beau rappeler que Kiev reste ouvert aux négociations, je doute qu’il y parvienne en l’état, hormis peut-être un nouvel accord sur des échanges de prisonniers. Je pense qu’il n’y a pas non plus de réelle volonté de pourparlers côté russe. Si Vladimir Poutine a proposé ce sommet, c’est uniquement pour montrer au monde entier sa bonne volonté, et parce qu’il est à l’origine de la proposition initiale de ce format de discussions.
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Y a-t-il, cette fois-ci, des éléments susceptibles de faire avancer les discussions ?
Oui, il y a l’ultimatum lancé par Donald Trump : cinquante jours pour avancer vers une sortie de crise. C’est peut-être le seul facteur nouveau par rapport aux rounds précédents. Toutefois, je ne crois pas que cela suffise à infléchir la position russe. Poutine n’a pas semblé impressionné par les menaces du président américain.
Rien ne montre, dans les signaux envoyés par Moscou, une quelconque envie de négocier sincèrement. Ils continuent leur avancée militaire, notamment autour de Pokrovsk. Pourquoi s’arrêteraient-ils alors qu’ils ont l’avantage sur le terrain ?
Mais cela fait déjà trois ans et demi que les deux pays sont en guerre…
C’est même le cœur du problème. L’Ukraine vit dans l’urgence : chaque jour est une question de survie. À l’inverse, la stratégie de Poutine s’inscrit dans une logique de long terme. Son économie s’est complètement transformée en économie de guerre. Il a investi massivement dans l’armement, mobilisé la population, et dispose de ressources suffisantes pour continuer longtemps. Tant qu’il n’a pas obtenu de l’Ukraine les territoires qu’il est venu chercher, il n’a aucun intérêt à arrêter le conflit.
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Est-ce qu’accentuer les sanctions économiques occidentales pourrait changer la donne ?
À terme, oui. Mais ça prendra du temps. Les sanctions depuis 2014, et plus encore depuis 2022, commencent enfin à peser sur l’économie russe. On en voit les signaux : inflation, taux d’intérêt élevés, grogne du secteur privé. Mais la machine de guerre, elle, peut continuer des mois, voire des années. Les sanctions ne produiront pas d’effet immédiat suffisant pour amener Poutine à négocier sérieusement.
Dans ce contexte, l’Ukraine pourrait-elle être contrainte de céder du territoire ?
Tant qu’ils tiennent, non. Mais si les aides financières et militaires occidentales venaient à se tarir, la question pourrait se poser. Aujourd’hui, l’objectif prioritaire pour Kiev, c’est d’obtenir un cessez-le-feu durable. Sur cette base uniquement, des discussions seraient envisageables.
Céder des territoires ? Peut-être provisoirement, le temps d’installer un cessez-le-feu respecté, mais en contrepartie de garanties solides, notamment que la Russie ne relance pas l’offensive dès le lendemain.
Faut-il alors arrêter de discuter avec la Russie et renforcer la pression militaire et économique ?
La France et l’Europe ne discutent déjà presque plus avec la Russie. Pour négocier, il faut être au moins deux. Moscou n’aura aucune envie de négocier, tant qu’elle se sentira en position de force. En revanche, les Européens ont vivement intérêt à prendre part dans ces discussions, afin de ne pas laisser ce dialogue se limiter aux Américains et aux Turcs. Mais soyons clairs : ces rounds ressemblent surtout à du théâtre diplomatique. Poutine cherche à temporiser et à apparaître, aux yeux de ses alliés et de son opinion publique, comme un partenaire ouvert au dialogue, tout en accusant l’Ukraine de freiner les avancées.
Comment éviter que l’Ukraine ne cède face à Moscou ?
En continuant de l’aider, massivement. Financements, armes, soutien politique… Chaque aide envoyée à Kiev constitue un signal fort pour Moscou : l’Occident ne permettra pas la chute de l’Ukraine. Car si l’Ukraine s’effondre, c’est l’Europe qui se retrouvera directement en danger.