Pour aller plus loin
Ils prennent la pose, à sept, ou vingt, ou plus, les hommes sanglés dans leurs costumes, les femmes (rares) dans des tailleurs stricts, tous souriants face aux caméras du monde entier. Chaque année, l’actualité est rythmée par leurs rencontres codifiées, dans une routine théâtralisée dont on suppose l’importance tout en doutant de sa portée. Véritables marronniers de la géopolitique planétaire, les sommets internationaux se tiennent à intervalles réguliers sans qu’on ne sache plus quelle est exactement leur légitimité. A l’heure de la remise en cause profonde du multilatéralisme et de la brutalisation des relations internationales, que valent encore les grand-messes du G7 ou du G20 ? Les déclarations d’intention lénifiantes dont elles accouchent la plupart du temps ne semblent pas plaider, de loin, pour leur utilité.
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Récit
« Moi, je suis fait pour les tempêtes » : Emmanuel Carrère a suivi Emmanuel Macron dans les coulisses du G7
Il fallait donc y voir de plus près. Soulever le rideau des apparences, pousser la porte des réunions officielles, s’inviter dans le secret des conciliabules. C’est ce qu’a fait Emmanuel Carrère en embarquant dans la caravane d’Emmanuel Macron pour le suivre lors du dernier sommet du G7, mi-juin, au Canada. En génial portraitiste de l’âme humaine qu’il est, l’écrivain en a tiré un formidable récit, une chronique saisissante des coulisses du pouvoir mondial. D’abord publié en anglais, dans le quotidien britannique « The Guardian » le 15 juillet, ce reportage exceptionnel paraît cette semaine dans nos colonnes, dans sa version originale.
Nous poursuivons ainsi notre compagnonnage avec Emmanuel Carrère, après le grand récit qu’il a écrit pour nous à Moscou au début de la guerre en Ukraine, les chroniques judiciaires du procès des attentats du 13-Novembre ou encore, tout récemment, un texte sur les troubles bipolaires. Nous le retrouverons également à la fin de l’été pour la sortie de son prochain livre, « Kolkhoze », qui sera assurément l’un des événements de la rentrée littéraire.
Une plongée dans les arcanes d’un club de puissants
Mais revenons au G7. Carrère dépeint les chefs d’Etat qui y participent non comme nous nous les figurons communément, empreints de toute la dignité de leur fonction, mais tels qu’ils sont en réalité : humains, trop humains. D’abord Macron, dont il avait déjà fait le portrait pour le « Guardian », en 2017, et qu’il redécouvre en pleine forme, plus séducteur que jamais, muscles bandés sous le tee-shirt, naviguant en quasi-vétéran parmi les dirigeants occidentaux. Trump ensuite, astre noir du sommet et parrain mafieux, dont le pouvoir de nuisance est tel que même le mot « climat » a été rayé de l’ordre du jour. Il y a aussi Meloni, qui s’emploie à donner du « Donald » au maître du monde, Starmer humilié, contraint de ramasser les papiers de Trump à ses pieds, Merz retardé par le même Trump au mépris du protocole…
Tous dévoilent, au fil de la plume de Carrère, leurs calculs autant que leurs failles. Une plongée dans les arcanes d’un club de puissants qui démontre, une fois de plus, que la grande Histoire est d’abord faite d’une somme de toutes petites. Et que celle du G7 n’est pas exempte d’un certain pathétique, dans l’atmosphère actuelle de fin du monde occidental.
Faut-il en conclure que ces grands sommets sont obsolètes, qu’ils ne sont plus qu’un théâtre d’ombres vidé de tout sens ? Rien n’est moins sûr. Certes, le G7, formé en 1976 alors qu’il représentait 85 % de la richesse mondiale, n’en incarne plus que 30 % avec l’essor de la Chine, des Brics et du Sud global. Certes, son fonctionnement, basé sur le consensus et la recherche du plus petit dénominateur commun, semble bien anachronique face à la brutalité des populismes incarnée par Trump. Mais sa simple existence garde une vertu : il ne réunit que des pays clairement démocratiques, ayant exclu la Russie dès 2014 après l’annexion de la Crimée. Cela n’a l’air de rien, mais préserver l’unité du G7, c’est donc maintenir les conditions, même imparfaites, d’un dialogue entre nations soucieuses du respect de l’ordre du monde. Le fait même que Trump méprise ce type de réunions plaide pour leur maintien, coûte que coûte. En ces temps plus qu’incertains, ce « petit rien » est déjà beaucoup.