Une photo non datée de Jeffrey Epstein et Donald Trump, diffusée par les démocrates le 12 décembre 2025. HANDOUT / AFP
« Vous êtes dans la file d’attente. Nous recevons actuellement un nombre extrêmement élevé de demandes de recherche. Nous traiterons votre demande dès que possible. Merci de votre patience. » Ce vendredi 19 décembre à 17h (heure de Washington), il faut faire la queue en ligne pour accéder aux milliers de documents impliquant Jeffrey Epstein, accusé de trafic sexuel sur mineures, et sa complice Ghislaine Maxwell, qui viennent d’être rendus publics par le ministère de la Justice américain.
Donald Trump a enfin tenu sa promesse de campagne. Du moins en partie. La montagne d’informations sur l’influent financier mort en prison en 2019 qui entretenait des relations avec de nombreuses personnalités du monde des affaires, de la jet-set et de la politique, a été partiellement expurgée. Des pages entières ont été caviardées. Des omissions effectuées pour protéger les victimes et les enquêtes en cours, comme celles sur les liens d’Epstein avec l’ancien président Bill Clinton et l’ex-directeur de Harvard, Larry Summers, mais aussi pour des questions de « sécurité nationale »… De quoi conférer au ministère de la Justice une marge de manœuvre illimitée sur le choix de ce qui est divulgué. Et il n’a même pas encore tout sorti. Le gouvernement a indiqué qu’il rendrait publics les documents restant d’ici la fin de l’année. Il détiendrait au total plus de 300 gigaoctets de données sur Jeffrey Epstein, ses exactions et ses réseaux.
Une vieille promesse
La base électorale de Trump va-t-elle y trouver de quoi apaiser sa colère ? La gestion erratique de l’affaire par l’administration a suscité l’indignation de ses plus fervents soutiens. Ils se sont sentis trahis par leur « héros » censé les venger contre les élites libérales qu’ils soupçonnent d’entretenir des réseaux pédophiles, dont Epstein était devenu l’emblème.
Pendant sa campagne, Trump leur avait promis des révélations. En février, sa procureure générale Pam Bondi annonçait même avoir une liste de clients du financier sur son bureau. Mais l’affaire s’est enlisée. Et au cœur de l’été, le ministère de la Justice et le FBI se sont soudain mis à soutenir qu’il n’y avait en vérité ni liste ni découverte supplémentaire. Electeurs, victimes et élus ont eu beau réclamer que la lumière soit faite sur le sordide passé d’Epstein, le gouvernement a opposé une fin de non-recevoir. Trump a même mené une campagne acharnée pour dissuader son propre camp de se ranger aux côtés des démocrates qui ont vu là une ligne de faille à exploiter dans la cuirasse MAGA (pour « Make America Great Again », le slogan de Trump).
Il a fallu qu’une poignée d’entre eux ose s’opposer à leur gourou pour qu’une loi sur la transparence des dossiers Epstein soit adoptée à la quasi-unanimité au Congrès en novembre. La pression des élus et de sa base a fini par avoir raison de lui : Trump a viré de nouveau sa cuti et promulgué la loi le contraignant à rendre publics les documents avant le 19 décembre. Nous y voici. « L’administration Trump fait preuve d’un niveau de transparence que les administrations précédentes n’avaient même jamais envisagé », assure la Maison Blanche, faisant fi de l’incroyable feuilleton de ces derniers mois qui a failli faire exploser en vol le socle électoral des Républicains. Mais ne lui en déplaise, la saga est loin d’être terminée.
Bill Clinton dans le collimateur
Pourquoi avoir caviardé autant de pages ? Pourquoi le président américain apparaît-il si peu dans les dossiers publiés ? Que cache-t-il donc ? « Les rares mentions de Trump contrastent fortement avec les nombreuses références à l’ancien président Bill Clinton », remarque le « New York Times » qui a commencé à éplucher les données divulguées. Les documents semblent en effet se concentrer principalement sur Clinton : photos de l’ancien président démocrate dans un jacuzzi, dans une piscine avec Maxwell… L’administration semble avoir délibérément choisi de détourner l’attention du public de la relation entre Epstein et Trump en ne ciblant que les démocrates. Chaque camp essaie depuis des mois de retourner cette affaire abjecte contre l’autre comme un mistigri. En pleine zone de turbulences après une succession d’échecs électoraux et des sondages montrant une opinion publique de plus en plus défiante, le clan présidentiel espérait probablement souffler un peu en reprenant la main sur la saga Epstein.
Le nouveau patron de l’Amérique n’a cessé de minimiser sa relation avec le sulfureux financier. Il a répété avoir rompu tout contact avec lui au début des années 2000 après qu’Epstein a recruté une employée de son club à Mar-a-Lago en Floride. Reste que son entourage a affirmé que son nom figurait bel et bien dans les documents. Elon Musk avait lâché, après leur rupture au printemps, que son ex-boss était « dans les dossiers d’Epstein ». Des photos et e-mails en possession du Congrès rendus publics ces dernières semaines en témoignent. Tout comme l’enquête publiée par le « New York Times » qui décortique la longue amitié, mâtinée de complicité et de rivalité, entre les deux hommes. « Séduire les femmes était un jeu d’ego et de domination. Le corps des femmes était une monnaie d’échange », constate le journal. Mais Trump a toujours nié avoir trempé dans les crimes de son ancien comparse.
Les élus à l’origine de la loi ayant conduit à la divulgation des dossiers ne mâchent pas leur frustration. « Soyons très clairs : nous exigeons une publication intégrale des documents. Quiconque les falsifie, les dissimule ou procède à des caviardages excessifs sera poursuivi pour entrave à la justice », a prévenu le démocrate Ro Khanna. La publication de ces données « ne respecte absolument pas l’esprit ni la lettre de la loi », a aussi dénoncé le républicain Thomas Massie. De quoi relancer une nouvelle offensive parlementaire… Et conforter les doutes des Américains.
Selon un sondage Reuters-Ipsos sorti le 12 décembre, 60 % d’entre eux estiment qu’il est « peu » ou « pas du tout » probable que Trump ignorait les exactions d’Epstein. L’opinion publique pense manifestement qu’il a quelque chose à cacher. Ils sont même 48 % à considérer, selon une enquête de Yahoo News-YouGov publiée en juillet, que Trump a pu être impliqué dans les crimes du financier. La publication des dossiers devait éteindre la controverse ; elle ne fait au contraire que raviver la flamme.

