Après trois ans passés au cœur du chantier de reconstruction, Frank Widemann a vu la dernière grue de l’entreprise Dartus quitter le parvis de Notre-Dame. Un moment chargé d’émotion pour celui qui a vécu là « le chantier d’une vie ».
À l’aube, Paris dort encore lorsque la grande grue de l’entreprise Dartus quitte enfin le parvis de Notre-Dame. Il est 5 heures du matin, ce mardi, quand l’acier géant glisse hors du chantier. Pour Frank Widemann, compagnon arrivé en 2022, c’est un moment suspendu. « On savait que ça allait être sport. Mais quand on fait bien le boulot, ça roule », souligne-t-il, sourire en coin.
Relever une cathédrale blessée
Depuis juin 2022, Frank fait chaque semaine l’aller-retour depuis son Sud-Ouest natal pour rejoindre ce chantier hors norme. Trois ans d’un travail millimétré, de nuits courtes, de jours de pluie, de doutes et de réussites. Et surtout, trois ans d’une aventure profondément humaine. « Sur un chantier long comme celui-là, tu crées des liens forts. Honnêtement, c’est rare », confie-t-il. Car ici, il ne s’agit pas seulement d’assembler de l’acier : il s’agit de relever une cathédrale blessée.
À lui revient une mission cruciale : dimensionner les engins, orchestrer tout le levage. « On a utilisé une grue de 350 tonnes qui monte à plus de 100 mètres et peut soulever jusqu’à 8 tonnes. Rien ne s’improvise : chaque élément est assemblé au sol avant d’être hissé d’un seul bloc », explique-t-il. Au pic de l’activité, jusqu’à mille personnes se croisent chaque jour, six grues tournent en simultané, les équipes travaillent en deux-huit de 6 heures à 21 heures. Un ballet géant dont Frank est l’un des chefs d’orchestre discrets.
“La voir partir, oui, ça remue un peu”
Et puis arrive ce moment que tous attendaient : le démontage de la grande grue Dartus, la dernière machine majeure du chantier. « La voir partir, oui, ça remue un peu. Ça marque une fin. » Une page de Notre-Dame se tourne — et de sa propre histoire aussi. « C’est une belle page, et je suis fier d’avoir participé à son écriture. »
Frank porte également une autre fierté : celle de son Ordre national du Mérite, reçu le 15 avril 2025, six ans jour pour jour après l’incendie. Une distinction qui l’a profondément touché. « Dans notre métier, on est invisibles. Une grue, c’est utile, mais personne ne sait qui l’a installée. Alors cette reconnaissance, pour nous, c’est énorme. » Il se rappelle son entrée à l’Élysée : « C’était irréel. J’aurais pu le visiter comme tout le monde. Mais là, c’était moi, pour mon métier. »
“Il reste quelques parenthèses”
Même si la grande grue a disparu, Frank n’a pas complètement tourné la page. Il doit encore revenir fin décembre ou début janvier pour finaliser les études liées aux futurs moyens de levage. « Il reste quelques parenthèses », sourit-il. Avant, sans doute, de repartir vers d’autres défis.
Notre-Dame a rouvert le 8 décembre 2024, mais les aménagements complets se poursuivront jusqu’en 2030. Frank, lui, aura continué sa route. Avec, dans le cœur, l’évidence d’avoir vécu là un moment unique : « Notre-Dame, c’est un chantier de savoir, de transmission, de mémoire vivante. Le chantier d’une vie. »

