November 18, 2025

Sommet sur la souveraineté numérique : quand la panne Cloudflare confirme l’urgence des ambitions européennes

l’essentiel
Réunis à Berlin pour un sommet sur la souveraineté numérique, la France et l’Allemagne ont scellé une feuille de route commune pour renforcer l’autonomie technologique européenne. Simplification réglementaire, normes de protection des données, investissements massifs et développement d’une IA d’avant-garde structurent cette stratégie, alors que l’Europe tente de combler son retard face aux États-Unis et à la Chine.

Le hasard fat parfois bien les choses. Alors qu’un Sommet sur la souveraineté numérique européenne s’est tenu ce mardi 18 novembre à Berlin, le monde et donc l’Europe faisaient face à de nombreux sites internet en panne. Plusieurs sites, dont le réseau social X et la page d’accès de l’agent conversationnel ChatGPT, ont été perturbés en raison d’un incident technique touchant le fournisseur américain de services Cloudflare, utilisé par 20 % des sites dans le monde. On aurait voulu démontrer la dépendance du web européen qu’on ne s’y serait pas pris autrement.

“Aujourd’hui, l’ANSSI et le BSI (son homologue allemand) préviennent que la dépendance aux technologies non-européennes menace la “fourniture ininterrompue des services”. La panne de Cloudflare leur donne immédiatement raison. Nous devons arrêter de subir et commencer à bâtir nos alternatives. La puissance numérique ne se décrète pas, elle s’achète, et nos commandes doivent soutenir nos propres champions pour éviter ce type de paralysie”, estime Christophe Lesur, directeur général de Cloud Temple.

Avec la panne de Cloudflare, les engagements pris à Berlin à l’issue du sommet prennent un relief tout particulier. Le Sommet a rassemblé plus de 900 décideurs, industriels, chercheurs et représentants des institutions européennes. Sous la co-présidence franco-allemande, l’événement a servi de plateforme de coordination pour définir des engagements concrets visant à réduire les dépendances technologiques de l’Union européenne et à renforcer sa compétitivité. Les interventions d’Emmanuel Macron et de Friedrich Merz ont donné le ton : l’Europe doit reprendre la maîtrise de son destin numérique et construire des solutions capables de rivaliser avec celles des acteurs américains et chinois.

Simplifier le cadre réglementaire européen

Au cœur des annonces figure la volonté affirmée de simplifier le cadre réglementaire européen. Paris et Berlin appellent à un moratoire de douze mois sur les dispositions relatives aux systèmes d’intelligence artificielle (IA) à haut risque et exhortent la Commission à intégrer une réforme du RGPD (le règlement général sur la protection des données) dans son prochain paquet numérique. Cette démarche s’inscrit dans un diagnostic partagé : les exigences actuelles pèsent sur la capacité d’innovation européenne. Emmanuel Macron a rappelé la nécessité “d’innover avant de réguler”, un message également porté par le chancelier allemand, qui voit dans cette simplification un préalable à l’émergence d’acteurs européens crédibles.

Le Sommet a également permis d’avancer sur plusieurs chantiers structurants. Les deux pays soutiennent la création d’un consortium européen de communs numériques avec les Pays-Bas et l’Italie, ainsi que l’essor d’infrastructures publiques s’appuyant sur des outils de source ouverte. Le portefeuille européen d’identité numérique est réaffirmé comme pilier de cette stratégie, aux côtés des suites bureautiques développées conjointement telles que LaSuite/OpenDesk.

Souveraineté des données

La souveraineté des données constitue un autre axe majeur. Les deux gouvernements appellent la Commission à définir des normes extrêmement strictes pour les données sensibles, afin de se prémunir contre les législations extraterritoriales – américaines par exemple – et de renforcer la cybersécurité. Des enquêtes ont d’ailleurs été ouvertes par Bruxelles pour déterminer si Amazon Web Services (AWS) et Microsoft doivent être classés comme contrôleurs d’accès dans l’informatique en nuage, ce qui renforcerait leurs obligations au titre du DMA (le règlement sur les marchés numériques).

L’effort d’investissement occupe une place centrale dans cette séquence. Selon les autorités allemandes, plus de 12 milliards d’euros de promesses d’engagement ont été recueillis auprès d’acteurs européens de premier plan, notamment dans l’IA et les logiciels. Un montant notable, mais jugé insuffisant face aux “centaines de milliards” nécessaires chaque année pour rester dans la course. Les données présentées par l’association Bitkom illustrent l’ampleur du défi : la capacité des centres de données européens plafonne à 16 GW, loin des 48 GW américains et des 38 GW chinois.

Favoriser une IA d’avant-garde européenne

Enfin, la France et l’Allemagne lancent un groupe de travail bilatéral chargé de définir des services numériques européens communs et des indicateurs de souveraineté couvrant le cloud (informatique en nuage), l’IA et la cybersécurité. Ses conclusions seront présentées en 2026 lors du Conseil des ministres franco-allemand. Ce dispositif complète la volonté partagée de favoriser une IA d’avant-garde européenne, appuyée sur un environnement propice aux partenariats public-privé.

Pour les deux capitales, la priorité est claire : éviter que l’Europe ne devienne durablement dépendante de technologies qu’elle ne contrôle pas et créer les conditions d’un rattrapage durable. Le Sommet de Berlin acte une convergence politique rare, mais son succès dépendra de la capacité collective à mobiliser des moyens proportionnés à l’ambition affichée.

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