November 16, 2025

TEMOIGNAGE. Incendie des Corbières : privée d’aide de l’État, l’exploitation viticole du Grand Crès rend les armes

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L’incendie catastrophique du mois d’août dernier a eu des conséquences terribles pour le domaine du Grand Crès. Ce fleuron de la viticulture des Corbières sera liquidé dans quelques mois, un désastre pour la famille Leferrer, qui s’est confiée à La Dépêche du Midi.

Les mines sont tristes. Hervé Leferrer et sa fille Camille sont abattus, ils ne repartiront pas. Pourtant leur domaine du Grand Crès était l’aboutissement de cette famille qui avait fait de la viticulture le guide de sa vie. Hervé, 71 ans, ingénieur agro et œnologue diplômé de l’Ensam de Montpellier, avait accompli une belle carrière avec en point d’orgue la régie du Domaine de la Romanée-Conti, une école de l’excellence en Bourgogne. Il avait décidé alors de conduire épouse et enfants en Languedoc en vue d’y bâtir leur domaine à eux. Après prospection, le choix s’était porté sur un terroir d’exception à 300 mètres d’altitude, difficile d’accès, entouré de landes et garrigues, qu’ils baptisèrent le Grand Crès. Le domaine étant situé à Ribaute, du fait de son profil et de l’absence d’électricité, la vinification fut basée à 8 km de là, dans le village de Fabrezan. De quelques hectares au départ, l’exploitation s’est étendue depuis sur une douzaine d’hectares, avec une production totalement conditionnée en bouteilles promises à l’exportation et au marché français.

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Ribaute est un village qui malheureusement a fait beaucoup parler de lui le 5 août dernier, au début de l’incendie historique des Corbières. Après cette journée funeste, huit des 12 hectares, calcinés, sont promis à l’arrachage.

Le feu a fait d’importants dégâts sur les vignes du domaine, à Ribaute.
Le feu a fait d’importants dégâts sur les vignes du domaine, à Ribaute.
DDM

À la catastrophe environnementale s’ajoute une autre catastrophe, économique et financière, aux conséquences terribles. Au niveau des indemnisations des assurances tout d’abord, la perte de la récolte se base sur les cours du vrac, soit 110 € l’hectolitre, 0,80cts le litre. Une indemnisation de l’ordre de 30 000 € pour 300 hectolitres perdus, une misère, leur assureur leur octroyant 18 000 € pour la replantation.

“Je n’y crois plus”

Le fonds d’urgence mis en place par l’État ne viendra pas non plus aider l’exploitation. Selon Hervé Leferrer et sa fille Camille, l’administration se retranche derrière une réglementation ne tenant pas compte de la réalité du terrain. Si ce fonds d’urgence décidé à Paris fait état de 8 millions d’euros au total, dont 4,4 seront versés ces jours-ci, l’exploitation du Grand Crès ne percevra pas un centime car elle n’est pas éligible à cette aide. Après des études de gestion, Camille avait décidé de reprendre officiellement le flambeau il y a huit ans, son père et sa mère, Pascaline, faisant valoir leurs droits à la retraite. Au départ, elle était salariée de l’EARL, puis elle est devenue salariée gérante de la SCEA lors d’un changement de statut juridique, il y a trois ans. Mal conseillée, elle ne possède donc pas celui d’exploitante agricole qui ouvre les droits au fonds d’urgence. “L’administration applique de façon aveugle la réglementation et ne tient pas compte du fait que la famille ne vit pas d’autres ressources”, peste Hervé, fulminant de colère. Face à ce désastre, Camille est totalement désabusée : “Je n’y crois plus”. Cette maman de deux jeunes filles faisant des études voit son avenir se noircir avec ce qu’elle ressent comme une triple peine : perte de l’exploitation, et avec son statut pas de droit au chômage et pas de prise en charge des cotisations des charges auprès de la MSA.

Liquider le stock de bouteilles pour rentrer un peu d’argent

Les vendanges n’ont pu avoir lieu au mois de septembre. La décision a été entérinée d’arrêter. Les cuves sont vides, reste à liquider le stock de bouteilles pour rentrer un peu d’argent. Concernant le vignoble, situé juste à côté de l’énorme projet d’un poste source sur 8 hectares à Tournissan/Ribaute pour l’implantation de plusieurs dizaines de milliers de panneaux photovoltaïques, la famille ne se fait guère d’illusions. “Le feu du 5 août a défiguré le plateau et ces installations ne laissent aucune chance à la nature de se régénérer”, constate Hervé Leferrer qui, en homme de viticulture éminent, voit plus loin encore : “Selon moi le plus grand danger reste le marché du vin et la baisse de consommation. Avec la loi Evin, nous sommes des bandits lorsque l’on boit du vin”. Ne voulant pas être l’oiseau de mauvais augure, il reste persuadé pourtant que de nombreux autres vignerons seront eux aussi obligés d’abandonner le métier dans les mois prochains.

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