Jean-Louis Périès a présidé, de septembre 2021 à juin 2022, les terribles audiences des massacres du 13 novembre 2015, devant le Stade de France, dans les terrasses de café et au Bataclan, à Paris. Retraité depuis trois ans, ce haut magistrat de 69 ans revient, pour La Dépêche du Midi, sur ces neuf mois d’un procès marathon et hors norme à l’occasion de la sortie de son livre, “Intime conviction”.
Comment vit-on avec ces dizaines de témoignages glaçants qui racontent l’horreur de ces attaques ?
C’était compliqué. En tant que président de cour d’assises, j’avais une place un peu privilégiée qui protège au-delà de la robe du costume d’audience. Je ne dois pas lâcher des yeux la personne qui est à la barre, je dois la soutenir. Et en même temps, je dois voir ce qui se passe dans la salle, dans le box, voir un petit peu les réactions, celles des accusés, celles des avocats, de part et d’autre. Donc, je suis concentré à la fois sur la personne qui parle, mais également sur tout ce qui se passe autour. Cela me protégeait un petit peu parce que du coup, j’avais une espèce de bouclier. J’avais des assesseurs formidables qui restaient après l’audience à discuter, à débriefer. On partageait tous ces moments car l’un d’eux avait été impressionné par tel ou tel témoignage. On n’avait pas forcément envie de bénéficier d’aide psychologique, d’avoir recours à quelque chose d’institutionnel, je crois que c’est… peut-être par pudeur. Ce soutien psychologique avait été proposé aux policiers de la brigade criminelle qui étaient intervenus au Bataclan.
Quelle est votre analyse sur le passage à l’acte de ce commando et qu’est-ce que vous retenez finalement de leurs réelles motivations ?
C’étaient des gens qui avaient été bien entraînés, malheureusement, et qui étaient partis en Syrie. Pour la plupart, pour s’entraîner. Quand ils partent, ils ont déjà une idée en tête, c’est-à-dire de participer à un combat. Comme Abaaoud, ce sont des gens fascinés par l’hyperviolence. Lui, il l’avait montré dans le passé en commettant des délits assez graves. Finalement, comme a pu le dire un sociologue belge qui s’est occupé de la déradicalisation, il fallait chercher quelque part une justification à cette hyperviolence, ils ont trouvé ça avec Daesh. Donc ils sont partis là-dedans avec beaucoup de disponibilité d’esprit, pour avaler tout ce que l’État islamique pouvait leur dire sur ce qu’il fallait faire. On a eu accès à la vidéo de revendication de l’État islamique. On voit certains d’entre eux qui, comme les assaillants du Bataclan et des terrasses, ne sont pas d’un niveau intellectuel très élevé. D’ailleurs, ça a été dit par les otages et par les survivants eux-mêmes. Mais voilà, ces membres ont été choisis. Ils sont partis là-bas parce que c’étaient les plus hyperviolents et qu’ils étaient déterminés. On les voit dans les camps d’ entraînement. Ils égorgent, décapitent avec un couteau. C’est absolument épouvantable. Ils éprouvent manifestement du plaisir. C’est impressionnant, cette cruauté-là !

Qu’est-ce que vous auriez eu envie de leur dire à ces gens-là ?
On les écoute déjà pour bien les juger. On essaie de voir quelle est leur véritable personnalité. Comment ils vont évoluer ? Qu’est-ce qu’on peut leur dire d’autre ? La colère ? Non, certainement pas. La colère ou la révolte, on l’a ressentie avec les collègues quand on a découvert le dossier, mais c’était bien avant, des mois qui ont précédé le procès. Bien évidemment que j’ai découvert les scènes de crime avec des photographies des corps, que ce soit sur les terrasses ou au Stade de France, toutes les victimes du Bataclan. Oui, là on a de la colère, effectivement, de voir tous ces jeunes sans vie, qui ont été massacrés. C’est épouvantable. Cette horreur-là, on l’a vécue avant. En salle d’audience, ce n’est plus pareil, je suis là pour juger des accusés pour des faits parmi les plus graves.
Dans ce livre “Intime conviction”, vous rendez aussi un vibrant hommage à votre père, originaire de Foix, en Ariège. Il a été juge d’instruction dans l’affaire Dominici qui a passionné la France entière. Et il y a cette date du 13 novembre qui semble vous poursuivre…
C’est l’histoire d’une coïncidence. C’est, en effet, le 13 novembre 1953 que l’affaire Dominici va connaître un tournant. Lors de l’audition de Gustave Dominici, le fils, ce dernier va affirmer que son père, Gaston, est l’auteur du triple meurtre sur un couple d’Anglais et sa fille. Et cette affaire va se décanter à partir de ce moment-là. Clovis, l’autre fils, va le mettre en cause aussi. Gaston Dominici est jugé aussi en novembre 1954 et il sera condamné ce même mois.
On va célébrer les 10 ans de ce massacre, à Paris, est-ce que ce type d’attaques est toujours à craindre aujourd’hui ?
De cette ampleur-là, j’en doute. L’État islamique a quand même été décimé en Syrie. Certes, ils se sont déplacés. Il reste des membres de cette organisation, des nouveaux qui se sont radicalisés, qui sont plutôt en Afrique occidentale, au Mali, ils se rapprochent un petit peu de la Côte-d’Ivoire, du Sénégal et ça, c’est beaucoup plus inquiétant. Il y a l’État islamique et Al-Qaïda. En France, je ne pense pas. Par contre, on peut avoir des actes individuels qui nous inquiètent beaucoup plus. Il y a eu l’arrestation de trois jeunes femmes début octobre, dans l’entourage de Salah Abdeslam, autour de cette clé USB. Mais le 13 novembre 2015, c’était une organisation exceptionnelle.

