Shein est dans la tourmente, critiquée pour son arrivée contestée au BHV et pointée du doigt après la découverte de poupées sexuelles à l’effigie d’enfants sur sa marketplace. Manon Richert, responsable de la communication de Zero Waste France, nous parle du modèle et de son impact environnemental. Entretien.
La Dépêche du Midi : Comment expliquer en quelques mots le modèle de l’ultra fast-fashion ?
Manon Richert, Zero Waste France : L’ultra fast fashion, c’est un modèle qui repose sur une production extrêmement rapide et massive. Les Amis de la Terre ont recensé des milliers de nouveaux produits mis en ligne chaque jour sur certaines plateformes, c’est colossal. Ce modèle repose sur l’exploitation des travailleurs, d’abord, puisque plusieurs marques sont soupçonnées d’avoir recours au travail forcé, notamment celui des populations ouïghoures en Chine. Il exploite aussi les ressources naturelles car la majorité de ces vêtements sont fabriqués à partir de plastique, donc de matières fossiles comme le pétrole, le charbon ou le gaz.

On dénonce souvent l’impact environnemental de marques comme Shein, qu’en est-il ?
Ces matières entraînent des impacts environnementaux à toutes les étapes : extraction, transformation, utilisation et fin de vie des produits. Les vêtements en polyester, par exemple, se dégradent rapidement et relâchent des microplastiques à chaque lavage ou frottement. À la fin de leur vie, ils sont presque impossibles à recycler : aujourd’hui en Europe, moins de 2 % des déchets textiles sont effectivement recyclés pour fabriquer de nouveaux vêtements. La plupart finissent donc enfouis, exportés et, de plus en plus, incinérés. Il y a aussi le coût des transports car la matière première est extraite à un endroit, envoyée ailleurs pour être transformée, puis encore ailleurs pour être filée, teintée, cousue…
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Comment percevez-vous l’arrivée de Shein dans des magasins physiques en France ?
C’est très inquiétant. Cela montre que Shein cherche à se légitimer. Mais il ne faut pas se tromper de cible, c’est le modèle dans son ensemble qu’il faut remettre en question, avec sa surproduction et l’obsolescence émotionnelle de ses vêtements conçus pour durer toujours moins longtemps.
Peut-on espérer un sursaut de la part des marques ou des distributeurs ?
Malheureusement, les récentes prises de parole, notamment du propriétaire du BHV, ne montrent pas de remise en question. Au contraire, il défend l’idée que l’ultra fast-fashion rend la mode accessible à tous, alors qu’en réalité elle détruit l’industrie textile française, les droits des travailleurs à l’étranger et l’environnement. À terme, cela nuira aussi aux consommateurs français.
Et du côté des consommateurs, observe-t-on une prise de conscience ?
Dans une certaine mesure. L’Ademe a publié une étude montrant que de plus en plus de Français se tournent vers la seconde main et des pratiques d’achat plus responsables. C’est une bonne chose. Mais les ressourceries et structures comme Emmaüs sont aujourd’hui submergées de textiles qu’elles ne peuvent plus traiter. La majorité des vêtements donnés sont de trop mauvaise qualité pour être revendus. Donc, même si les consommateurs veulent bien faire, ils achètent ce qu’on met à leur disposition, et la qualité de la seconde main elle-même se dégrade.
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Le ministre de l’Économie a évoqué la possibilité d’interdire Shein suite au scandale des poupées sexuelles, est-ce envisageable selon vous ?
Au-delà de ce scandale, certaines marques vendent des produits dangereux pour la santé, comme l’a montré une enquête du Bureau européen des consommateurs. Il y a donc matière à interdire ou à mieux encadrer ces sites. Mais au-delà de ces cas, c’est tout le modèle textile qu’il faut transformer. Nous soutenons depuis plus d’un an une proposition de loi, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en première lecture, qui vise à pénaliser les marques ayant des pratiques nocives : gamme trop large, collections renouvelées trop vite, etc. Le principe est simple : appliquer enfin le principe du pollueur-payeur à la mode.

