Olivier Damaisin, coordinateur national du Plan Prévention Mal-être en Agriculture, sur les causes multifactorielles du suicide des agriculteurs
                            
En aspergeant de la lie de vin, symbole du sang, sur les façades de la MSA et du Crédit Agricole à Bordeaux, la Coordination rurale a voulu dénoncer une “pression” qui pousse au suicide.
Face à cette action coup de poing, Olivier Damaisin, aujourd’hui coordinateur national interministériel du Plan Prévention Mal-être en Agriculture, analyse ces drames et présente les dispositifs d’aide en place.
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Selon l’ancien député du Lot-et-Garonne et auteur du premier rapport parlementaire sur le suicide en agriculture en 2020, “le suicide d’un agriculteur n’est pas l’histoire de quelqu’un qui veut mourir, mais celle d’un être humain qui ne veut plus souffrir.” “En France, explique-t-il, il y a 9 000 suicides par an. Les causes sont multifactorielles. C’est comme un vase qui se remplit au fur et à mesure et puis la petite goutte d’eau, la dernière, le fait déborder”.
Quelles sont les causes du suicide des agriculteurs ?
Olivier Damaison : L’isolement et la solitude sont les principales causes de suicide dans l’agriculture, et plus largement dans la ruralité. Il y a des agriculteurs ou agricultrices qui se suicident alors qu’ils n’ont aucun problème financier, mais ils sont dans l’isolement et la solitude la plus complète. La seule personne qu’ils voient est le facteur, de temps en temps. Comme le courrier se raréfie et que les boîtes aux lettres ont été déplacées au bout du chemin, ils ne le voient plus du tout.
Après, bien sûr, il y a le problème économique. Il y a également le problème intergénérationnel qui est très important. Les anciens qui disent aux plus jeunes : “tu ne fais pas bien ci, tu ne fais pas bien ça,” on a connu des drames comme ça. Il y a également les problèmes de couple. Le film d’Édouard Bergeon, “Au nom de la Terre,” illustre la nature multifactorielle de toutes les causes du suicide.
La CR a dernièrement pointé du doigt la MSA, le Crédit Agricole. Qu’est-ce que ça vous inspire ?
O.D. : On ne peut pas dire que c’est la faute, entre guillemets, de la MSA, ou du Crédit Agricole, si c’était ça, ça serait facile. Si on n’avait que les problèmes financiers à régler, on le saurait. J’ai vu des agriculteurs fortunés se suicider faute de pouvoir transmettre leur exploitation. Il y a des fermes de plusieurs milliers d’hectares en Lot-et-Garonne. S’il n’y a pas des enfants derrière, je ne sais pas qui les reprendra.
J’alerte toujours ceux qui pointent du doigt ces organismes sur les conséquences non mesurées de leurs actes. Et c’est normal qu’ils ne s’en rendent pas compte des conséquences. Mais, si la conseillère financière de la personne qui s’est suicidée lit dans la presse que son organisme est fautif, elle peut en déduire que c’est sa faute à elle. Cela pourrait engendrer un second drame humain. Donc, il faut faire très attention à ça.
Selon un rapport de la MSA datant d’octobre 2022, 529 agriculteurs affiliés se sont donné la mort en 2016, soit environ 1,5 suicide par jour. C’est beaucoup…
O.D. : Ces chiffres sont trop anciens. Avec tout le travail de prévention mis en place, nous avons aujourd’hui beaucoup plus de personnes identifiées en situation de mal-être. Cette augmentation signifie que des personnes sont prises en charge avant le geste fatal, heureusement d’ailleurs.
Qu’est-ce qui a été mis en place par exemple ?
Un réseau avec 9 000 sentinelles sur toute la France – 400 en Lot-et-Garonne. Ils sont vigilants. Ils s’inquiètent quand un agriculteur ne vient plus ni à la fête du village, ni aux réunions du conseil municipal, ni aux matchs de rugby. Et puis les uns et les autres se rendent compte qu’ils ne l’ont pas vu depuis longtemps.
Quand on va chez lui, il y a un laisser-aller complet dans l’élevage ou dans l’exploitation en général. Ce réseau fonctionne bien. Vous avez également toutes les associations, les syndicats qui sont sur ces sujets ainsi que les réseaux de Chambre d’agriculture, la MSA et même les banques.
Craignez-vous une nouvelle colère des agriculteurs cet hiver ?
O.D. : Depuis 2020, année de mon rapport, ma crainte est constante. J’alerte continuellement sur la complexité de la situation. Actuellement, je suis à fond sur la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Les anciens du ministère me racontent qu’avant, il y avait une crise par trimestre : une inondation, la vache folle, la maladie sur les vignes. Là, il y en a plus d’une par mois.
Les agriculteurs ont tout le temps des ennuis. Je suis même surpris que les gars tiennent le coup comme ça. Ils sont très forts. J’ai porté à bout de bras un agriculteur de l’Ariège. Il téléphonait, en pleurs. En 2021, il a eu : prédation de l’ours, prédation du loup, prédation du vautour, gel et FCO sur son troupeau. Il était au bout du bout.
Avec son comptable, il avait fait un prévisionnel qu’il pouvait avoir 35 000 euros d’indemnité. Comme il avait 5 dossiers en cours, même le comptable était complètement perdu dans les dossiers. En plus, la prédation de l’ours doit être certifiée, le loup pareil, le vautour pareil.
Chaque dossier était hyper compliqué. Il était complètement débordé, d’autant que la banque lui mettait la pression. Comme il avait eu toutes ces pertes, il était en difficulté financière. En fait, on l’a aidé. De 35 000 euros, il est passé à 55 000 euros d’indemnités. Ici, en Lot-et-Garonne un coup, c’est la sécheresse. Un coup, ce sont les inondations. Après, c’est le gel. Et puis il y a la surtransposition des normes. Elle fait partie d’un mal-être. Ils ne comprennent pas pourquoi on veut toujours plus les embêter que les autres.

