October 27, 2025

TÉMOIGNAGE. Sécheresse dans les Corbières : "Bientôt, on ne vendangera plus"… Le cri d’alarme d’un vigneron

l’essentiel
Pour la 3e année consécutive, la sécheresse frappe durement le vignoble. À Luc-sur-Orbieu, Philippe Serny, 59 ans, vigneron depuis toujours, dresse un constat alarmant : sa récolte 2025 est quatre fois moindre qu’en 2022. Entre désespoir et lucidité, il témoigne d’un métier qui, face au climat, vacille.

Sous un ciel d’airain, les vignes ont soif, elles souffrent. Les hommes aussi. Philippe Serny, 59 ans, vigneron du cru, contemple ses rangs de ceps comme on contemple un souvenir qui s’efface. À la tête d’une exploitation de 15 hectares, il parle d’une voix lasse, celle de ceux qui, depuis trop longtemps, attendent la pluie comme on attend un pardon. “2022, c’était la dernière année normale. Et encore, une récolte moyenne, se souvient-il. Cette année, on a récolté quatre fois moins”. Le constat est brutal.

“Si la pluie ne vient pas, on ne vendangera plus”

Depuis trois ans, la sécheresse s’installe, tenace et sans répit, sur le vignoble des Corbières. En 2023 déjà, la récolte avait chuté de moitié par rapport à 2022. Et depuis, la descente continue, inexorable. Les sols craquent, les souches meurent debout. Sur le secteur de l’Amayral, où les terres fortes peinent à retenir la moindre goutte, le désastre se lit dans le paysage. Là où la vigne s’enracinait jadis avec fierté, elle ploie désormais sous le soleil. “Si la pluie ne vient pas, on ne vendangera plus, murmure Philippe Serny, la voix cassée. J’ai un caladoc qui a 8 ans, les souches y meurent. Cette année, avec 80 ares, j’ai récolté 800 kg de raisin. En 2022, c’était 12 tonnes”. L’écart donne le vertige.

“Avec la sécheresse […], pas de récolte future”

Sur une autre parcelle, la production du merlot est passée de 14 tonnes à une seule. “La récolte ne paie même plus les frais de la machine”, glisse-t-il, désabusé. Dans ces vignes autrefois gorgées de soleil et de vie, la mort avance en silence, feuille après feuille, ceps après ceps. Pourtant, le vigneron garde la lucidité de ceux qui savent. “Je vais vous dire une chose, confie-t-il. Il vaut mieux un gel qu’une sécheresse. Après le gel, le cep produit du bois, et on a de quoi tailler pour l’année suivante. Avec la sécheresse, pas de bois, pas de récolte future”. Le désastre climatique ne se limite plus à la vendange de cette année. Il mord déjà sur celle de l’an prochain. Les racines n’ont plus de force, les bourgeons se tarissent avant même de naître.

“Je suis très pessimiste”

Toutefois, sur le plan qualitatif, Philippe Serny reste serein : le millésime 2025 sera bon. Concentré, riche, sincère, comme souvent quand la vigne lutte pour survivre. Mais le vigneron n’en tire aucune joie : “La qualité, oui, mais pour combien de temps encore ? Si la vigne meurt, il n’y aura plus de vin à aimer”. Les aides publiques ? “C’est vrai qu’on nous exonère des taxes foncières, mais c’est largement insuffisant”, soupire-t-il. L’État panse les plaies, mais ne guérit rien. À la question de l’avenir, Philippe Serny ne cache plus son désarroi : “Je suis très pessimiste ; on arrache des vignes tous les jours. On nous parle de reconversion vers d’autres cultures, mais sans eau, que voulez-vous cultiver ? Quand on plante une vigne, c’est pour des décennies, pas pour une saison”. Ses mots tombent comme les feuilles sèches dans la poussière du chemin. Dans les Corbières, l’automne a le goût amer du vin rare, celui qu’on déguste avec gravité. Là où la terre brûle, les vignerons prient. Pour un nuage, pour une pluie. Pour qu’à nouveau, la vigne chante.

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