Manager sportif de l’équipe Arkéa-B & B Hôtels qui ne repartira pas la saison prochaine, le technicien montalbanais évoque la situation avec sa fameuse franchise. À 55 ans, il espère poursuivre l’aventure dans le cyclisme, sa passion de toujours.
Comment allez-vous après l’arrêt « officiel » d’Arkéa-B & B Hôtels ?
Écoutez ça va… De toute façon on ne va pas se taper la tête contre les murs ça fait mal ! Ça va… On sait tous qu’on a un métier précaire. Le plus rageant c’est que l’équipe depuis deux ans ne fait que progresser et tout s’arrête avec un goût d’inachevé. Fin 2022 ça m’avait fait du bien de prendre une année sabbatique, le contexte n’était pas le même. Je n’avais fait que bosser depuis toujours, j’avais enchaîné direct après ma carrière. Là, c’est différent…
On a du mal à penser que la quatrième meilleure équipe du Tour disparaisse…
Elle peut disparaître, la preuve… Aujourd’hui le contexte économique n’est pas bon. Quand on voit nos clowns faire les pantins au gouvernement ce n’est pas rassurant. Que ce soit pour Monsieur tout le monde ou pour les chefs d’entreprise, le contexte est difficile et ça ne nous a pas facilité la tâche. L’autre paramètre, là ou, il y a quinze ans, avec 10 millions tu faisais une belle équipe, il t’en faut trois fois plus pour faire la même. On n’est plus dans les mêmes budgets. Dix millions, potentiellement, ça peut se trouver mais quand tu demandes trente ce n’est plus pareil et tu ne touches plus les mêmes sociétés. Nous, on ne génère pas de bénéfices on n’a pas de billetterie, pas d’entrées au stade, le merchandising c’est à la marge. Sur 200 ou 300 mille euros par an, quand tu as tout sorti il t’en reste 100, ce n’est rien du tout. On n’a pas de droits télé non plus…
Difficile à comprendre…
Les seuls qui gagnent de l’argent avec des droits télé c’est ASO. Tous les autres organisateurs sont obligés de payer pour être retransmis. ASO, tant mieux pour eux, c’est une société qui a bossé qui a fait du Tour ce qu’il est aujourd’hui. Maintenant qu’ils ne veuillent pas rétribuer les droits télé je me dis qu’ils n’ont pas tort. Tant que ça dure… Jusqu’à quand ça va marcher, je ne peux pas le dire, je ne suis pas devin… Quand la famille Amaury l’a récupéré, le Tour n’était pas l’événement qu’il est devenu. C’est une juste récompense on ne peut pas leur en vouloir.
Des solutions ?
Aujourd’hui c’est aux équipes mais d’abord aux instances d’agir. Dans les groupes étrangers tous les gars sont travailleurs indépendants, chez nous, ils sont tous salariés. Avec les charges sociales et patronales, on est déjà morts. On ne peut même pas jouer. Si on veut jouer avec UAE, en France, il nous faut entre 90 et 100 millions d’euros. Nos dirigeants ont-ils le pouvoir, en ont-ils la volonté ?
On peut être inquiets pour l’avenir…
C’est un peu comme le dopage. Tant que ça ne te tombe pas sur le museau, tu ne réalises pas. Tout le monde pense : tant mieux ça fait une équipe de moins, il y en a peut-être trop en France etc. Mais ce n’est pas un problème national, en Italie, c’est la bérézina, ils sont l’ombre d’eux-mêmes et pareil en Espagne. En fait combien d’équipes existent ? UAE, Bora, Visma et après ? Les autres comptent les points.
Lidl-Trek…
Oui Lidl aussi, ça fait quatre… On pourrait imaginer faire de la formation mais les grosses équipes ratissent large à la sortie des cadets, rémunèrent les gamins et les verrouillent avec des valeurs de rachat de contrat. Si tu veux les récupérer ça peut te coûter un million d’euros… En fait, ils créent des faux transferts en toute légalité.
Décathlon avec l’arrivée de CMA CGM se montre ambitieux…
Décathlon, avec 40 millions, ils vont faire milieu de tableau alors qu’ils ont vendu autre chose. Après, tout baser sur un gamin de 19 ans qui potentiellement est un très bon de demain, on ne peut pas savoir s’il deviendra excellent, comment tu peux dire que tu vises la victoire dans le Tour avec lui ? Tu ne sais même pas s’il va être avec toi en 2030. Accompagnez-le, soulagez-le, prenez la pression à sa place. Ça, ce serait une construction et ils font tout l’inverse. Je ne suis pas dans le jugement mais à sa place…
Bernaudeau que vous connaissez bien, avec qui vous avez beaucoup travaillé va bientôt perdre Total…
Jean-René doit trouver un partenaire qui lui permette de continuer à partir de 2027. En espérant que d’ici là tout se soit un peu arrangé que le climat soit moins anxiogène mais situation n’est vraiment pas des plus encourageantes.
Quand Manu Hubert vous a-t-il prévenu officiellement ?
C’est monté petit à petit. Il a été très clair depuis le début. Il a dit aujourd’hui tout le monde est libre. Il a été transparent sur la situation, très clair, mais refermé sur les pistes qu’il avait. Il a présenté la situation pratiquement dès les classiques de mars avril, c’était vraiment très tôt. “Ceux qui veulent rester et qui y croient, libre à eux, après il ne faudra pas me reprocher si tout s’arrête”.
Il a dit ça lors d’une réunion au sommet ?
Non il est passé sur les courses et il a parlé avec les uns et les autres. Moi aussi j’ai passé le message au fur et à mesure. S’il avait pu trouver une solution au mois de juin, on repartait avec le même effectif en 2026.
Même Kevin Vauquelin qui a choisi Ineos-Grenadiers ?
(Affirmatif) Oui ! Kevin serait resté… On a des gars de chez nous, des entraîneurs qui sont partis dans d’autres teams. Ils te disent que les grosses formations ne font rien de plus que nous sauf que là où nous avons une personne à un poste, eux, ils en ont quatre. C’est juste ça. La masse de travail n’est plus du tout la même bien sûr…
C’est aussi simple.
On pensait que la forte identité régionale de votre formation pouvait être un plus. On a vu Jean-Yves Le Drian à la présentation du Tour même si la Bretagne n’était pas sur la carte, cette région reste une terre de vélo par rapport à l’Occitanie…
Le tissu économique est plus favorable là-bas, la région Bretagne plus riche que l’Occitanie avec beaucoup de grosses sociétés, nous on a Airbus à Toulouse, c’est l’arbre qui cache la forêt, heureusement. Donc il y a énormément de belles entreprises mais le vélo ne les intéresse pas. Regardez combien ils ont d’équipes de foot en Ligue 1 et Ligue 2. Les boîtes veulent bien devenir partenaires mais d’abord que ça génère un minimum de business. On le voit, même dans le bateau, ça commence à se tendre. Arkéa s’est désengagé de la voile pour la construction d’un stade qui ne verra peut-être pas le jour. La Bretagne n’est pas une terre de vélo c’est faux. Par ses bénévoles, la passion des gens, oui, toujours, mais c’est tout. Ils n’ont pas d’équipe de DN1. Le Tour bien sûr, Le Drian peut s’y montrer c’est de la politique. Le vélo en France renvoie de mauvais signaux, il faut en prendre prennent la mesure et espérer que la conjoncture s’améliore sinon…
En quittant votre costume professionnel qu’est-ce que Tadej Pogacar vous inspire en tant que spectateur ou passionné de cyclisme ?
Ce qu’il réalise c’est monstrueux. Chaque fois qu’il arrive, il fait quine. Quand il veut ou il veut comme il veut. Je ne le connais pas, je ne sais pas comment il est, si sa façon d’être est une mascarade, si c’est juste pour renvoyer une image…
Qu’est-ce que vous allez faire maintenant ?
J’avais un CDD j’ai signé pour deux ans, le terme arrive au 31 décembre. Je suis sur le marché de l emploi. Jusqu’à l’annonce je n’ai pas bougé et je n’ai d’ailleurs toujours pas bougé. J’aurais pu prospecter avant mais ce n’est pas dans ma mentalité, quand je suis dans une aventure, je vais jusqu’au bout. Je me pose pas mal de questions et je n’ai pas toutes les réponses. Je viens d’avoir 55 ans, les aléas de la vie font que je ne peux pas m’arrêter de travailler. Ce qui me fait le plus râler sans prétention c’est que je peux encore apporter à un groupe. J’étais chez Cofidis on m’a proposé le poste de manager que j’ai refusé. B & B, c’était une création, un challenge qui me plaisait… J’arrive chez Arkéa l’équipe est structurée, elle progresse elle a passé un cap et travaillait bien avec plein de petits changements sur l’approche, le discours, les détails… Sans le loupé de la première année avec un déficit de 3 000 points elle gardait sa place en WorldTour. Malgré les pertes de Champoussin et Albanese qui ne sont pas n’importe qui, on fait la même saison que la précédente. Je sais que tout peut s’arrêter et qu’on ne me revoit plus dans le vélo. Ce n’est pas de l’inquiétude mais est-ce que je vais trouver une solution pour continuer ? Je ne rêve pas trop d’un poste comme celui que m’avait confié Manu chez Arkéa, manager, j’avais les mécanos, les assistants, les coureurs, il fallait animer tout ça… Mais directeur sportif m’intéresse aussi, sans doute pas n’importe où, pas n’importe comment. Ce n’est pas alimentaire, je ne cherche pas juste un salaire. J’ai encore envie…
16 ans au guidon, 16 ans au volant…
Didier Rous est né le 18 septembre 1970 à Montauban. Passé par Saint-Juéry, l’UV Auch-Lectoure, l’EIS Fontainebleau et le CC Varennes-Vauzelles, il effectue u stage pro chez RMO fin 1992 avant de signer chez Gan (1993-1996) puis Festina (1997-1999), Bonjour (2002), Brioches La Boulangère (2003-2004) et Bouygues Télécom (2005-2007), ces trois formations dirigées par Jean-René Bernaudeau. Il a poursuivi dans l’encadrement chez Bouygues (2009-2010), Cofidis (2011-2017) Vital-Concept, Vital B & B et B & B KTM (2019-2022) et Arkéa B & B (2024-2025).
Champion de France 2001 et 2003, il s’est imposé aussi dans le chrono du Tour de l’Avenir 1992 et 1994, le Grand Prix La Marseillaise 1993, la 4e étape du Tour de Valence 1996, l’étape contre-la-montre du Critérium International1996, la 18e étape du Tour de France Colmar-Montbéliard 1997, Paris-Camembert et le Grand Prix Midi-Libre 2000, le Trophée des Grimpeurs, deux étapes les 4 Jours de Dunkerque et le prologue du Dauphiné 2001, le Circuit de la Sarthe 2002, le Trophée des Grimpeurs et la 1re étape du Tour du Limousin 2003, la 3e étape des 4 Jours de Dunkerque, la 3e étape du Tour du Limousin et le Grand Prix de Plouay 2004, la 3e étape contre-la-montre de la Route du Sud-La Dépêche du Midi 2005, le Trophée des Grimpeurs, la 1re étape et Paris-Corrèze 2006.
Deuxième de la Flèche Wallonne 1996 derrière Lance Armstrong il a pris part à 17 Grands Tours (13 Tours, 1 Giro, 3 Vueltas) et 13 Monuments.

