Une plateforme pétrolière Petrobras à Rio de Janeiro, le 3 juillet 2015. MARIO TAMA / GETTY IMAGES VIA AFP
On a connu meilleure manière de préparer une COP. Lundi 20 octobre, exactement vingt jours avant l’ouverture de la Conférence de Bélem sur les changements climatiques, l’Institut brésilien de l’Environnement et des Ressources naturelles renouvelables (Ibama), sous la pression du président Lula, a approuvé un projet d’exploration pétrolière au large de l’Amazonie.
A lire aussi
Enquête
Superprofits, climat, géopolitique… les dossiers noirs de Total
La licence, accordée à l’entreprise publique Petrobras, porte sur le forage d’un puits d’exploration en eaux profondes dans la région de Foz do Amazonas, à 500 km de l’embouchure du fleuve Amazone. Le chantier doit débuter « immédiatement », a déjà annoncé le géant pétrolier par communiqué. Pendant environ cinq mois, la multinationale mènera une « étude exploratoire » afin de déterminer si la zone recèle des gisements de pétrole et de gaz. « Aucune production pétrolière n’est en cours à ce stade », précise-t-elle.
A ce stade, peut-être, mais le périmètre a de grandes chances de contenir des hydrocarbures en quantité suffisante pour lancer une exploitation commerciale. La Marge équatoriale, aire côtière dans laquelle se trouve Foz do Amazonas, présente en effet des caractéristiques similaires aux littoraux du Suriname, de la Guyane française ou de la Guyana, en train de devenir d’immenses réserves de pétrole brut. Selon le ministère brésilien des Mines et de l’Energie, elle recèlerait un potentiel estimé à 10 milliards de barils, représentant « l’avenir de la souveraineté énergétique » du pays, selon le ministre Alexandre Silveira.
« Sabotage »
Sous le feu des critiques, l’Ibama affirme avoir délivré cette autorisation « à l’issue d’un rigoureux processus ». La multinationale Petrobras, elle, assure avoir satisfait à toutes les exigences établies par l’agence, « respectant intégralement le processus de licence environnementale ». Mais pour ses détracteurs, le soutien de la présidence – de gauche – au projet en dit long sur son « hypocrisie ».
« Cette autorisation est un sabotage de la COP et va à l’encontre du rôle de leader climatique revendiqué par le président Lula sur la scène internationale », tance l’Observatoire du Climat, un collectif d’ONG brésiliennes, dans un communiqué. Successeur du leader d’extrême droite Jair Bolsonaro, Luiz Ignacio Lula da Silva a fait de la protection de l’Amazonie le marqueur de son image internationale, dès son élection en 2022. Et ce, malgré un soutien répété au projet de Foz do Amazonas.
A lire aussi
Enquête
Total et l’environnement : la bombe climatique
Alors qu’en 2023, l’Ibama, estimant que la compagnie n’avait pas présenté les garanties nécessaires pour protéger la faune en cas de fuite de pétrole, avait refusé à Petrobras une licence d’exploration, Lula lui-même avait fait monter la pression pour autoriser le projet. Le président brésilien était allé jusqu’à déclarer que l’Ibama était une agence gouvernementale agissant comme si elle était « contre le gouvernement ».
L’approbation de la licence avait finalement été accordée après des tests pré-opérationnels réalisés par Petrobras en août pour montrer sa capacité à réagir à une éventuelle marée noire. « Lula vient d’enterrer son ambition de devenir un leader climatique au fond de l’océan, à Foz do Amazonas », avait alors attaqué Suely Araújo, elle-même ancienne cheffe de l’agence. Selon les scientifiques du Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (Giec), aucun nouveau projet d’exploitation d’énergie fossile ne devrait être autorisé pour avoir une chance de maintenir le réchauffement climatique à +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle.
Mangroves et lamantins
Le projet à peine validé, les associations sont montées au créneau. « Autoriser de nouveaux gisements pétroliers en Amazonie n’est pas seulement une erreur historique ; c’est s’en tenir à un modèle qui n’a pas fonctionné », tance Ilan Zugman, directeur de 350.org pour l’Amérique latine et les Caraïbes.
A lire aussi
Enquête
Total et les impôts : le mauvais payeur
Et pour cause : localisé à 175 km des côtes de l’Etat amazonien d’Amapá, le mieux préservé du pays – selon les données du Projet brésilien de Surveillance de la Déforestation en Amazonie de l’Institut national de Recherche spatiale, 74 % du territoire de l’Etat est protégé sur le plan environnemental –, le site de Foz do Amazonas pourrait, en cas de marée noire, affecter une région comportant 80 % des mangroves brésiliennes, selon le média Brazil Journal. « Elle affecterait également les communautés autochtones qui vivent de la pêche et pourrait également impacter le vaste récif corallien de l’Amazone, dont l’importance reste encore mal comprise », y explique Ricardo Fujii, spécialiste de la conservation au WWF Brésil.
Dans un rapport technique de l’Ibama publié par le quotidien « Folha de São Paulo », l’agence elle-même notait la menace que l’exploitation de pétrole représentera pour la population de lamantins, gros mammifères aquatiques déjà menacés d’extinction, tout en précisant que les possibles effets sur les populations indigènes environnantes avaient été tout simplement ignorés. Elle recommandait de « refuser la licence environnementale », soulignant le risque de « perte massive de biodiversité dans un écosystème marin hautement sensible ».
A quelques jours de la COP30, l’Observatoire du Climat a d’ores et déjà annoncé son intention d’attaquer en justice l’Etat pour dénoncer « les illégalités et les défauts techniques » du processus de délivrance de la licence.