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Le Nouvel Obs avec AFP
Emmanuel Macron (à gauche) et le president camerounais Paul Biya au palais presidentiel de Yaoundé, au Cameroun, le 26 juillet 2022. LEMOUTON/POOL/SIPA
Le président brise un tabou. Emmanuel Macron a officiellement reconnu que la France avait mené « une guerre » au Cameroun contre des mouvements insurrectionnels avant et après l’indépendance de 1960, un mot jusqu’ici absent des discours officiels, signalant à nouveau sa volonté d’introduire plus de transparence dans l’histoire coloniale française.
« Il me revient d’assumer aujourd’hui le rôle et la responsabilité de la France dans ces événements », souligne le chef de l’Etat dans un courrier à son homologue camerounais Paul Biya rendu public mardi 12 août, actant ainsi un tournant mémoriel entre les deux pays.
Emmanuel Macron endosse les conclusions d’un rapport d’historiens qui lui avait été remis en janvier et qui a « clairement fait ressortir qu’une guerre avait eu lieu au Cameroun, au cours de laquelle les autorités coloniales et l’armée française ont exercé des violences répressives de nature multiple ». En outre, ajoute le chef de l’Etat, « la guerre s’est poursuivie au-delà de 1960 avec l’appui de la France aux actions menées par les autorités camerounaises indépendantes ».
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Le président français avait annoncé en juillet 2022 au Cameroun le lancement de travaux d’une commission mixte franco-camerounaise visant à faire la lumière sur la lutte de la France contre les mouvements indépendantistes et d’opposition au Cameroun entre 1945 et 1971.
« La France a commis beaucoup de crimes au Cameroun »
Le rapport de cette commission, présidée par l’historienne Karine Ramondy, s’inscrit dans la politique mémorielle du président Macron vis-à-vis de l’Afrique, à la suite de rapports similaires sur le Rwanda et l’Algérie, autres pages sombres de la politique française en Afrique.
Le rapport sur le Cameroun et les recherches appelées à le prolonger « vont nous permettre de continuer à bâtir l’avenir ensemble, de renforcer la relation étroite qui unit la France et le Cameroun, avec ses liens humains entre nos sociétés civiles et nos jeunesses », a appelé de ses vœux Emmanuel Macron.
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« C’est bien, parce qu’il reconnaît » ce qu’il s’est passé, a réagi auprès de l’AFP Mathieu Njassep, président de l’Association des vétérans du Cameroun (Asvecam) qui réunit d’anciens combattants indépendantistes, assurant toutefois qu’il ne pourra être satisfait que si la France verse des réparations. Un sujet qui n’est pas abordé dans sa lettre par Emmanuel Macron.
« La France a commis beaucoup de crimes au Cameroun. Elle peut payer des réparations. Elle a détruit des villages, des routes, tant de choses… Il y a beaucoup de choses qu’elle doit faire », a expliqué l’ancien combattant camerounais.
Les archives françaises accessibles à la recherche
Le rapport de plus de mille pages étudie notamment le glissement de la répression des autorités coloniales françaises vers une véritable « guerre ». Se déroulant dans le sud et l’ouest du pays entre 1956 et 1961, elle a sans doute fait « des dizaines de milliers de victimes », selon les historiens.
Le rapport souligne que « l’indépendance formelle [du Cameroun en janvier 1960] ne constitue absolument pas une rupture nette avec la période coloniale ». Ahmadou Ahidjo, Premier ministre puis président en 1960, met en place « un régime autocratique et autoritaire avec le soutien des autorités françaises, représentées par des conseillers et administrateurs, qui accordent leur blanc-seing aux mesures répressives adoptées », selon les historiens.
L’actuel président Paul Biya a été un proche collaborateur de Ahmadou Ahidjo dans les années 1960, jusqu’à devenir Premier ministre en 1975, avant d’accéder à la présidence à partir de 1982. Agé de 92 ans, il a annoncé en juillet qu’il briguerait un huitième mandat à la présidentielle prévue le 12 octobre prochain. Le Conseil constitutionnel a de son côté rejeté début août la candidature de son principal opposant, Maurice Kamto.
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Emmanuel Macron, qui suggère la création d’un groupe de travail dédié entre le Cameroun et la France, « s’engage à ce que les archives françaises soient rendues facilement accessibles pour permettre la poursuite des travaux de recherche ». Il évoque « certains épisodes spécifiques de cette guerre, comme celui d’Ekité du 31 décembre 1956, qui a fait de nombreuses victimes, ou la mort lors d’opérations militaires menées sous commandement français des quatre leaders indépendantistes Isaac Nyobè Pandjock (17 juin 1958), Ruben Um Nyobè (13 septembre 1958), Paul Momo (17 novembre 1960) et Jérémie Ndéléné (24 novembre 1960) ».
En revanche, concernant l’assassinat de l’opposant Félix-Roland Moumié à Genève le 3 novembre 1960, « l’absence d’éléments suffisants dans les archives françaises et le non-lieu rendu par la justice suisse en 1980 n’ont semble-t-il pas permis d’apporter un nouvel éclairage sur les responsabilités » de sa mort, estime Emmanuel Macron.