Yom Kippour est, pour les juifs pratiquants, le jour de la repentance. Son thème principal est le pardon et la réconciliation. C’est le jour le plus saint et le plus solennel dans le calendrier liturgique juif. C’est ce jour-là, le 2 octobre, qu’un meurtrier a assassiné un homme juif et blessé grièvement quatre autres personnes. (La deuxième victime semble avoir été mortellement touchée par les tirs de la police).
L’assaillant a conduit son véhicule à grande vitesse en direction d’un groupe de personnes venu assister à un service religieux dans la synagogue de Crumpsall, au nord de Manchester. Il est ensuite sorti de sa voiture et a poignardé ses victimes. Il portait un gilet explosif défectueux. La police est rapidement intervenue et a abattu l’assaillant. Deux hommes et une femme ont été arrêtés et sont en garde à vue. Ils sont soupçonnés d’avoir préparé et incité à commettre des actes terroristes.
L’instrumentalisation de l’antisémitisme
La police a qualifié l’acte de « terroriste ». Keir Starmer, le Premier ministre travailliste, s’est immédiatement rendu sur les lieux et a dénoncé la « menace de la haine antisémite ». De retour à Londres, il s’est rendu dans une synagogue. Il semble en effet acquis qu’il s’agisse de meurtres antisémites. Pour commettre de type de crimes, le jour de Yom Kippour, il faut évidemment être animé par une haine antisémite incontrôlable.
La police a identifié le meurtrier : il s’agit d’un Britannique de 35 ans, immigré de Syrie lorsqu’il était enfant, et qui a obtenu la nationalité britannique avant l’âge de 18 ans. Il n’avait jamais fait l’objet de signalement dans le cadre du programme de prévention de l’extrémisme. Ces informations nourrissent déjà l’argumentaire complotiste et islamophobe de ceux qui instrumentalisent la question de l’antisémitisme, un problème réel et sérieux, pour mener une compagne anti-immigration et anti-minorités ethniques.
Cette instrumentalisation, qui essentialise des populations entières (« les immigrés, « les musulmans »), constitue une partie du problème dans la lutte contre l’antisémitisme. Ces personnes ne s’indignent pas particulièrement de la recrudescence des actes antisémites, mais ils les brandissent pour renforcer les stéréotypes anti-immigrés et islamophobes au sein de la population.
En d’autres termes, ils utilisent l’antisémitisme, non pour le combattre, mais pour mettre en danger d’autres minorités religieuses. C’est ainsi que la droite et l’extrême droite, en Europe et aux Etats-Unis, sont devenues les pseudo-gardiens des juifs : leur combat contre l’antisémitisme est insincère. C’est, très souvent, un moyen au service d’une fin : discriminer les musulmans. Il est vrai que la gauche, largement indifférente à l’antisémitisme, quand elle ne le nourrit pas elle-même, a grandement facilité cette inversion ahurissante des rôles dans le domaine de la lutte contre les racismes.
Rien ne justifie l’antisémitisme
Cependant, dénoncer l’instrumentalisation de la droite et de l’extrême droite n’épuise pas la question. L’antisémitisme est en recrudescence partout en Europe, il tue et terrorise les juifs. Ce sont des faits indiscutables. Au Royaume-Uni, l’Organisation de Protection de la Communauté juive a recensé le chiffre record de 1 521 incidents antisémites au cours des six premiers mois de l’année. (Plus de 3 000 incidents ont été recensés en 2024).
Il y a 287 360 juifs en Angleterre et au pays de Galles, selon le dernier recensement (au Royaume-Uni, des questions permettent de renseigner directement la religion et l’ethnicité de la population). 30 000 d’entre eux résident dans la métropole de Manchester. Etre juif, c’est faire l’expérience de la haine antisémite au quotidien dans la rue (les juifs religieux hésitent à porter la kippa en public), dans les réunions sociales (où les blagues antisémites s’expriment librement) ou sur les réseaux sociaux (l’anonymat relatif incite les antisémites de tout poil à s’exprimer sans filtre).
Autour de moi à Londres, la nouvelle des meurtres antisémites à Crumpsall a été accueillie avec horreur, mais avec aussi une forme de résignation : cette violence a choqué les juifs mais ne les a pas surpris. Le sentiment d’inévitabilité des crimes antisémites est particulièrement perturbant. Si tout juif en vient à se sentir en insécurité dans son propre pays et à craindre le pire à tout moment, nos sociétés ne sont ni sûres ni libres. L’ironie paradoxale de la situation est que nombre de juifs vont penser qu’ils seront davantage en sécurité s’ils émigrent en Israël.
Etre impliqué dans une forme de vie culturelle, sociale ou religieuse juive, c’est avoir un sens aigu de l’insécurité. Chaque activité publique juive nécessite l’organisation d’une sécurité aussi anormale que choquante. Pourtant, cette anormalité est considérée depuis longtemps comme « normale ».
La lutte contre l’antisémitisme n’est guère servie par les pseudo-amis des juifs qui instrumentalisent le problème pour amplifier leur agenda raciste et discriminatoire. En outre, cette lutte ne fera aucun progrès si l’on considère « qu’Israël est responsable de la recrudescence de l’antisémitisme ». Cet argument, courant de nos jours, est aussi stupide que criminel. Faudrait-il aussi se laisser aller à un antiaméricanisme viscéral au motif que Donald Trump est un cryptofasciste ou à une germanophobie éternelle du fait de la Shoah ? Les juifs ne sont pas responsables des crimes du gouvernement israélien à Gaza. L’antisémitisme est un crime en soi ; une haine raciste qui ne peut être justifiée ou minorée sous quelque prétexte que ce soit.
Cet article est une carte blanche, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.