October 11, 2025

"J’ai failli mentir sur mon CV pour être pris" : face aux refus en cascade des entreprises, des jeunes de plus en plus découragés pour décrocher une alternance

l’essentiel
Malgré la hausse du nombre de contrats d’alternance en France ces dernières années, des milliers d’étudiants peinent toujours à décrocher une entreprise. Aides en baisse, manque d’expérience… les obstacles sont nombreux et certains sombrent dans le découragement. Témoignage.

Nicolas Coquoz, 22 ans, originaire d’Albi, est étudiant dans le bâtiment. Il a vécu une succession de galères et mésaventures pour décrocher ses alternances. “J’en suis arrivé à appeler une radio nationale pour passer à l’antenne et dire que je cherchais une entreprise. J’étais tellement désespéré.”

En sept ans, le nombre de contrats d’alternance a triplé en France, passant de 295 000 en 2017 à 880 000 en 2024. Mais derrière cette progression impressionnante se cache une réalité bien moins rose : l’accès à une entreprise reste un parcours du combattant pour de nombreux jeunes.

Nicolas Coquoz, 22 ans, a contacté près de 70 entreprises avant de trouver une alternance.
Nicolas Coquoz, 22 ans, a contacté près de 70 entreprises avant de trouver une alternance.
DDM – Arthur Gardes

Aujourd’hui en alternance dans une entreprise de taille de pierre à Cahors, Nicolas a dû quitter sa région, vivre dans deux logements, et surmonter des mois de stress, de solitude et de refus. Il a même envisagé de mentir sur son CV tant il se sentait piégé. “On me reprochait de ne pas avoir d’expérience… mais justement, l’alternance est censée être là pour nous en donner. C’est le serpent qui se mord la queue.”

70 candidatures, 3 entretiens, 1 poste

Pour sa dernière recherche, Nicolas a passé des heures au téléphone, élargi son périmètre à tout le sud de la France, et même effectué 5 heures de route jusqu’à Poitiers, pour un entretien de 15 minutes… avant de se voir refuser le poste. “J’ai tapé “tailleur de pierre” sur Google Maps et j’ai appelé tout ce qui s’affichait, même les entreprises sans site, même celles fermées.”

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Sur environ 70 candidatures, seulement 3 entretiens. Et un seul abouti : chez Occitanie pierres, dans le Lot, un département qu’il ne connaissait même pas. “J’ai dû tout quitter, encore une fois. Je paye un logement à Cahors, alors que mon école (il est apprenant chez les Compagnons du devoir, NDLR) est près de Montpellier. C’est un sacrifice.”

Pour ses précédentes formations en maçonnerie, la situation n’avait pas été plus simple. Il se souvient de longs trajets jusqu’à Bordeaux, des semaines sans réponse, et de cette expérience amère chez un employeur qui l’a mis à pousser une brouette sur un chantier, malgré sa formation d’ingénierie. “J’ai morflé”, lâche-t-il.

Des aides en baisse et des entreprises frileuses

Depuis janvier 2024, l’État a baissé les aides versées aux employeurs pour l’embauche d’alternants : de 6 000 à 2 000 euros pour les grandes entreprises, et à 5 000 euros pour les PME. Un coup dur, selon Nicolas, qui s’est souvent entendu dire que les entreprises ne recrutaient pas à cause du surcoût.

Joël Bertrand, dirigeant d’Occitanie Pierres et actuel maître d’apprentissage de Nicolas, confirme, “Former un alternant coûte de l’argent. Il faut payer l’école, le former en interne. Mais dans mon secteur, je n’ai pas le choix : je manque cruellement de main-d’œuvre. Même si les aides baissent, je continuerai à en prendre.”

Nicolas est aujourd’hui en alternance pendant un an en tant que tailleur de pierre.
Nicolas est aujourd’hui en alternance pendant un an en tant que tailleur de pierre.
DDM – Arthur Gardes

Pour ce chef d’entreprise passionné, le problème est aussi culturel. “L’apprentissage reste vu comme une voie de garage. C’était pour les jeunes qui ne réussissaient pas à l’école. Pourtant, je vois arriver des étudiants brillants, comme Nicolas, qui veulent apprendre un vrai métier manuel.”

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Il pointe aussi un manque de communication pour promouvoir les filières artisanales auprès des jeunes. “Il y a un vrai potentiel, mais on ne valorise pas assez ces métiers, c’est bien dommage.”

Un impact psychologique profond

Au-delà des chiffres et des aides, ce sont les conséquences humaines qui marquent. Nicolas évoque la fatigue, le découragement, voire la détresse. “Je me sentais rejeté, comme un moins que rien. Quand tout le monde dans ta promo trouve une alternance, et pas toi, tu te sens exclu. J’ai failli abandonner. Nicolas poursuit son parcours, avec l’envie d’apprendre et d’avancer malgré tout. Pour lui, l’alternance reste “un super moyen de se former”, à condition de recevoir “un peu plus de soutien et de considération.”

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