Des militaires rejoignent les manifestants à Antananarivo, ce samedi 11 octobre. LUIS TATO / AFP
C’est une scène inattendue : des groupes de soldats ont, selon des journalistes de l’AFP, rejoint les manifestants dans la capitale de Madagascar ce samedi 11 octobre. Comment expliquer ce ralliement ? S’agit-il d’un revirement décisif ? « Le Nouvel Obs » fait le point.
Manifestations violemment réprimées
Le pays est secoué depuis plusieurs semaines par des manifestations réprimées dans la violence. Au moins 22 personnes ont été tuées et plus d’une centaine d’autres blessées dans les cinq dernier jours de septembre, d’après le Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme (HCDH), qui a fait état de « manifestants et de passants tués par des membres des forces de sécurité ». Le chef de l’Etat, Andry Rajoelina, a démenti des « chiffres erronés », estimant les « pertes de vies » sur cette période à douze, tous « des pilleurs, des casseurs », selon lui.
« A peine sommes nous sortis dans la rue que les forces de l’ordre ont décidé de nous tirer dessus », avait accusé auprès de l’AFP un porte-parole du collectif Gen Z, qui est à l’origine des appel à manifester.
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Des vidéos de la violence de la police sont devenus virales sur les réseaux sociaux. L’une d’elles montre un homme laissé inconscient au sol après avoir été poursuivi et sévèrement battu par les forces de sécurité, ce que des journalistes de l’AFP ont constaté sur place.
Tournant sécuritaire
Ce qui était au départ un mouvement de protestation contre les coupures d’eau et d’électricité a mué en une contestation du pouvoir, incarné par le président Andry Raojelina, 51 ans.
Il faut dire qu’après avoir adopté un ton conciliant et renvoyé le gouvernement, le président a pris un tournant sécuritaire en nommant un militaire comme Premier ministre ainsi que seulement trois nouveaux ministres jusqu’ici : ceux des Armées, de la Sécurité publique et de la Gendarmerie. Le pays « n’a plus besoin de perturbation », a-t-il souligné.
Pays parmi les plus pauvres du monde, Madagascar a connu de fréquents soulèvements populaires depuis son indépendance de la France en 1960, notamment des manifestations de masse en 2009 qui avaient contraint le président de l’époque, Marc Ravalomanana, à quitter le pouvoir, tandis que l’armée installait Andry Rajoelina pour son premier mandat.
Ce dernier a été réélu en 2018, puis en 2023, lors d’élections contestées et boycottées par l’opposition.
Condamnations de l’ONU
Le Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a appelé ce vendredi les autorités malgaches à « cesser le recours à une force inutile » au lendemain de manifestations à Antananarivo ayant de nouveau fait de nombreux blessés parmi les contestataires.
« Nous recevons des informations inquiétantes faisant état de la poursuite des violences contre les manifestants de la part de la gendarmerie », indique un communiqué du Haut Commissariat diffusé vendredi sur les réseaux sociaux.
Dans celui-ci, Volker Türk « renouvelle son appel aux forces de sécurité à cesser le recours à une force inutile et à respecter les droits à la libre association et au rassemblement pacifique ».
La veille à Antananarivo, un homme poursuivi puis roué de coups par les forces de sécurité a été laissé inanimé au sol, avant d’être évacué par la Croix-Rouge, avait observé un journaliste de l’AFP dans le quartier d’Anosibe, comme le montraient aussi des vidéos virales sur les réseaux sociaux.
L’état-major mixte malgache chargé du maintien de l’ordre a confirmé vendredi des « mesures strictes » qu’il a justifiées par des « velléités » chez les manifestants de « terroriser la population » ainsi que de « provoquer des pillages ».
Un contingent de l’armée appelle à « refuser les ordres de tirer »
Coup de théâtre ce samedi : le contingent militaire d’une importante base située près de la capitale malgache, Antananarivo, a appelé ce samedi les forces de sécurité à la désobéissance, demandant notamment aux soldats et aux forces de sécurité d’« unir leurs forces » et de « refuser les ordres de tirer » sur les manifestants.
Le contingent militaire du CAPSAT (Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques) a également appelé les policiers et les gendarmes à les rejoindre, et demandé aux militaires postés devant les palais présidentiels de quitter leurs positions et de bloquer l’aéroport.
Les militaires lors de leur déclaration publique. RIJASOLO / AFP
« Unissons nos forces, militaires, gendarmes et policiers, et refusons d’être payés pour tirer sur nos amis, nos frères et nos soeurs », ont déclaré des soldats du district de Soanierana, en périphérie d’Antananarivo. « Les jeunes peinent à trouver du travail alors que la corruption et le pillage de la richesse ne cessent de s’accroître sous différentes formes » et que « les forces de l’ordre persécutent, blessent, emprisonnent et tirent sur nos compatriotes », ont souligné ces soldats. En 2009, cette base avait déjà mené une mutinerie lors du soulèvement populaire qui a porté au pouvoir l’actuel président Andry Rajoelina.
« À tous les militaires, ceux qui sont prêts à prendre leur responsabilité, rejoignez immédiatement le CAPSAT […] Vous, les militaires au palais présidentiel d’Iavoloha et d’Ambohitsorohitra, quittez votre poste et rejoignez vos camps d’origine (…) Vous qui êtes à Ivato, empêchez tous les aeronefs sans distinctions de décoller. »
Plusieurs milliers de personnes manifestaient ce samedi dans la capitale, le plus important rassemblement depuis plusieurs jours. Les forces de l’ordre ont alors fait usage de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes pour disperser les manifestants.
« Fermez les portails et attendez nos instructions, ont encore ajouté les militaires. N’obéissez plus aux ordres venant de vos supérieurs. Braquez vos armes sur ceux qui vous ordonne de tirer sur vos frères d’armes car ce ne sont pas eux qui vont s’occuper de notre famille si jamais on meurt. »
Des militaires rejoignent les manifestants
Dans les heures qui ont suivi, des véhicules chargés de soldats armés ont rejoint dans l’après-midi des milliers de manifestants rassemblés dans la zone du lac Anosy, dans le sud de la capitale, où la police avait tiré des grenades lacrymogènes pour tenter de les disperser, montre une vidéo de l’AFP. Les manifestants ont crié « Merci » aux militaires, dont certains brandissaient des drapeaux malgaches. Impossible toutefois de connaître pour l’heure le nombre de soldats ayant répondu à cet appel dans l’immédiat.
Des militaires au contact des manifestants, à proximité de leur camp. RIJASOLO / AFP
Le nouveau ministre des Armées, Deramasinjaka Manantsoa Rakotoarivelo, a pour sa part appelé les troupes au calme lors d’une conférence de presse. « Nous appelons nos frères qui ne sont pas d’accord avec nous à privilégier le dialogue », a-t-il déclaré.
« L’armée malgache demeure un médiateur et constitue la dernière ligne de défense de la nation ».