La semaine dernière à Strasbourg, cinq eurodéputés de droite du Parti populaire européen (PPE) et trois de l’extrême droite ont pris la tête d’un nouveau « groupe de contrôle » au sein de la Commission du contrôle budgétaire. Un groupe créé sur mesure, pour s’attaquer au financement des ONG. Un groupe où les dés sont pipés, puisque le PPE et les deux groupes d’extrême droite se sont accordé 61 % des sièges, alors qu’ils ne représentent que 48 % du Parlement.
D’un commun accord avec les Verts, la gauche radicale et les centristes, nous, sociaux-démocrates, dénonçons fermement cette dérive. Là où nous proposions que le Parlement européen fasse toute la transparence sur les financements européens dont bénéficient toutes les organisations, la droite s’est alliée avec l’extrême droite pour limiter cette exigence aux seules ONG.
Pourquoi limiter cette exigence aux seules associations ? La réponse est simple : servir un agenda qui consiste à attaquer les associations défendant l’environnement au moment même où cette alliance droite-extrême droite détricote les avancées environnementales européennes des dix dernières années : devoir de vigilance des grandes entreprises, lutte contre les produits issus de la déforestation…
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Il y a peu, nous, sociaux-démocrates, demandions de renforcer les règles d’intégrité et de transparence applicables aux députés européens eux-mêmes, notamment pour combattre l’influence néfaste des lobbies. Et qui est venu torpiller ce projet de transparence ? Cette même alliance droite-extrême droite. Ceux qui prétendent aujourd’hui vouloir contrôler les ONG sont les premiers à protéger l’opacité qui entoure leur propre fonctionnement.
Le climat politique international n’est pas étranger à cette offensive. Le retour de Donald Trump à la tête des Etats-Unis semble avoir libéré en Europe les discours les plus extrêmes. Nous assistons à l’émergence d’un véritable maccarthysme anti-écolo, où des responsables politiques, galvanisés par une idéologie trumpiste décomplexée, désignent comme ennemis publics toutes celles et ceux qui défendent l’environnement, la santé ou le climat.
La violence des mots en dit long : « Les écolos, nous devons leur faire la peau. » Cette phrase glaçante, qu’a déclarée Bertrand Venteau, le nouveau dirigeant de la Coordination rurale, révèle une dérive inquiétante : ce ne sont plus seulement des désaccords politiques, mais une volonté assumée d’éliminer celles et ceux qui constituent un contre-pouvoir face aux puissances de l’argent.
Les ONG sont essentielles. Contrairement aux lobbyistes du pétrole, du diesel ou du gaz russe, elles ne défendent ni actionnaires ni intérêts électoraux. Elles portent la voix de la biodiversité, du climat, de la santé : autant de causes, d’opinions, de modes d’action que nos institutions doivent être capables d’entendre.
Affaiblir ces associations, c’est affaiblir la démocratie. Qui documentera les atteintes à l’environnement, qui défendra la liberté d’informer, qui enquêtera sur les crimes de guerre en Ukraine et à Gaza, qui mènera les actions d’éducation populaire essentielles à une meilleure prise de conscience écologique ?
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Oui, la démocratie vit par ses institutions et les députés européens y participent. Mais la démocratie vit surtout grâce à une société civile organisée et vigilante, qui a les moyens de porter la voix des citoyens. Elle vit aussi grâce à des médias libres qui s’appuient sur les scientifiques et les ONG pour éclairer le débat public.
En choisissant d’alimenter cette stigmatisation, la droite européenne devient complice d’une offensive qui dépasse largement la question des financements européens. Elle participe à une stratégie globale de disqualification de la société civile, orchestrée depuis des années par l’extrême droite pour affaiblir toutes les formes de contre-pouvoirs, comme cela a été fait dans la Hongrie de Viktor Orbán.
L’histoire a montré ce qui arrive lorsque l’on fait taire celles et ceux qui alertent, enquêtent, contestent. Les démocraties ne meurent pas d’un coup ; elles s’effritent dans le silence, lentement, insidieusement, à force de compromis avec l’inacceptable.
C’est pourquoi nous devons rester fermes. Totalement déterminés à défendre les organisations de la société civile face à des attaques infondées et à une stigmatisation orchestrée par ceux qui ont tout intérêt à les réduire au silence.
Sans elles, c’est notre démocratie qui s’éteint.
◗ Thomas Pellerin-Carlin est député européen Place publique, membre de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D).
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

