November 14, 2025

"Je ne veux pas utiliser de produits dégueus" : face au recul de l’agriculture bio, ils tiennent bon

l’essentiel
L’agriculture biologique connaît des défis, mais aussi des succès. Dans le Lot, le nombre de fermes bio augmente, malgré un solde national négatif. Jason D’Haese et sa compagne illustrent cette résistance. Leur engagement pour le bio reste inébranlable.

Dans le pré, une vache d’Aubrac vient de donner naissance à un adorable petit veau. “Elle a mis bas dans la nuit car je suis passé la voir hier soir et il n’était pas encore là”, sourit Jason D’Haese de la ferme du Bousquet, à Caniac-du-Causse. Ce dernier possède une trentaine de bovins, et son exploitation est labellisée en bio. “C’est une évidence”, pose ce dernier.

Jason et Nanou sont installés en Gaec à Caniac-du-Causse.
Jason et Nanou sont installés en Gaec à Caniac-du-Causse.
DDM Maëlle Ternisien

Récemment, l’Agence Bio a annoncé avoir enregistré, entre janvier et août 2025, davantage de départs d’agriculteurs que de nouvelles installations. Sur cette période, la France a perdu en net 165 exploitations biologiques, affichant pour la première fois un solde négatif dans le secteur. Pourtant, dans le Lot, le nombre de fermes bios est en progression. En 2024, il y en avait 750. En 2025, on en compte 770 selon Bio 46. Les établissements bios représentent 18,6 % des fermes du Lot, contre 14,9 % au niveau national. La preuve à l’image, avec Jason qui résiste.

“On s’est dit que c’était possible”

“Depuis tout petit, j’ai su que je voulais devenir paysan. J’ai mis du temps car c’est difficile quand on n’a pas une ferme familiale”. Alors, en 2010, quand un voisin lui propose de louer sa ferme, son cheptel de brebis et ses hectares, le paysan quitte son travail et saute sur l’occasion. “Je me suis toujours dit que si en quelques mois je ne gagnais pas suffisamment, j’arrêtais”. Au départ, il s’installe en conventionnel. C’est en 2015 qu’il opère le changement. “J’ai eu des aides à la conversion. Pendant un temps, je produisais selon le cahier des charges bio mais je vendais en conventionnel. Après quelques années, l’exploitation est passée bio. Ensuite, j’ai eu des aides au maintien (qui ont depuis disparu NDLR)”, détaille l’éleveur. Il finit par se séparer des brebis pour acheter des vaches. Une partie des animaux est envoyée à l’abattoir de Villefranche-de-Rouergue puis découpée chez un boucher professionnel (le tout en bio – ce qui coûte un peu plus cher). Ensuite, les morceaux reviennent à Jason en colis qui les distribue à des particuliers.

Nanou fait du pain dans le four traditionnel de la ferme.
Nanou fait du pain dans le four traditionnel de la ferme.
DDM Maëlle Ternisien

Cinq ans plus tard, c’est sa compagne, Nanou, qui s’installe. Ensemble, ils forment un Gaec. “Je faisais du pain pour nous. Nous avons une voisine qui s’est installée en tant que paysanne boulangère. On s’est dit que c’était possible, que je pouvais en faire un métier”, sourit-elle. Ni une, ni deux, elle réquisitionne le four à pain de la ferme, installé là depuis plus de 100 ans. Nanou vend ses différents pains au marché de Saint-Cernin le mardi, et fait de la vente à domicile le vendredi. Et le couple ne renoncerait au bio pour rien au monde. “Je ne me vois pas utiliser des produits dégueus pour le sol, pour donner à manger à nos animaux et qui vont finir par se retrouver dans nos assiettes. Petits, nos enfants jouaient dans le blé et on ne craignait pas qu’ils en mettent à la bouche”, se souvient Jason.

“On fait l’effort de ne pas polluer”

Pourtant, comme l’agriculture en général, quelques craintes pèsent. “L’année dernière, j’ai été touché par la MHE (Maladie hémorragique épizootique) et la fièvre catarrhale. Il y a eu quelques avortements, ce qui fait que j’ai perdu des veaux. Et pour se faire indemniser, c’était le bordel. Dès la première fois, il aurait fallu se douter que c’était ça pour faire une prise de sang. Je ne l’ai pas fait, et j’ai fini par abandonner l’idée d’être indemnisé”, regrette le paysan. Et la menace de la DNC (Dermatose nodulaire contagieuse) qui rôde autour des élevages n’arrange rien. “On n’est pas trop touchés dans le Sud, on espère que cela va durer”, glisse-t-il. Il poursuit : “Devoir abattre tout son troupeau si on a une vache malade, je n’ose même pas imaginer.”

Un petit veau est né ce matin.
Un petit veau est né ce matin.
DDM Maëlle Ternisien

Un autre élément, cette fois financier : le crédit d’impôt. C’est une aide dédiée aux dépenses de certification en agriculture biologique qui ne figurait nulle part dans le nouveau projet de budget. Or, cela représente 4 500 euros par personne. Soit 9 000 euros pour le couple D’Haese. “Même si on fait ce métier par passion, il faut en vivre. Sinon, on crève. Si cette aide disparaît, c’est presque un de nos salaires en moins. On n’en mourrait pas, mais ça serait difficile. Ça réduirait nos possibilités d’investissements et de modernisation”, regrette Jason. Ce serait “une claque” pour Nanou. Cela ne risque pas d’arriver de sitôt. L’Assemblée nationale vient, ce vendredi, de voter la prolongation du crédit d’impôt jusqu’en 2028 ainsi qu’une augmentation de l’enveloppe passant de 4 500 à 6 000 euros. Le Sénat doit encore approuver cette décision.

Malgré cela, le couple tient à ce que les gens puissent s’offrir du bio. “En supermarché, un kilo de courgettes bio c’est le double des autres. On ne veut pas de ça. On veut garder nos produits à des prix raisonnables pour que tout le monde puisse en manger.” D’autant que la consommation bio reprend au niveau national.

Ce petit veau est né le matin même du reportage.
Ce petit veau est né le matin même du reportage.
DDM Maëlle Ternisien

Pour conclure, Jason D’Haese aimerait “être plus reconnu et écouté en tant qu’agriculteur bio”. Il s’explique : “On fait l’effort de ne pas polluer. Par exemple, on ne salit pas l’eau alors que cela coûte extrêmement cher de la dépolluer. On parle beaucoup de l’effort écologique, et on aimerait être considéré pour”. L’agriculteur souhaite passer un message d’espoir face à ces montagnes de difficulté : “On est en bio, et on en vit”.

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