November 3, 2025

Abus sexuel au sein de la communauté de l’Emmanuel : viols, emprise, influence médiatique… le mouvement dans le viseur de la justice et du Vatican

Longtemps vitrine du renouveau catholique par sa vigueur, sa capacité à évangéliser et son attractivité auprès des jeunes pratiquants, la communauté catholique de l’Emmanuel (“Dieu avec nous” en hébreu) traverse une zone de fortes turbulences. La multiplication des procédures judiciaires contre ses membres met en cause la transparence et le mode de gouvernance interne de ce mouvement influent, qui regroupe prêtres et laïcs engagés (13 000 membres présents dans plus de 70 pays, dont environ la moitié en France).

Bernard Peyrous, prêtre très influent de l’Emmanuel et auteur de la principale biographie de Pierre Goursat, fondateur du mouvement dans les années 1970, a été mis en examen pour “agression sexuelle par personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction” et “pour viols aggravés”. Avant la révélation publique de la mise en examen, la communauté de l’Emmanuel avait autorisé le retour en ministère de ce prêtre au sein de la paroisse d’Aucamville, près de Toulouse, un an après la révélation des premiers faits. À Nantes, le 26 février 2025, le père Noël Nshibia Pamu, membre de l’Emmanuel, a été condamné à trois ans de prison, dont un avec sursis, pour agression sexuelle sur mineure. Appel en cours.

Des condamnations et des dédommagements financiers

 

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Le Mans concentre une part majeure des alertes. Selon l’enquête* signée Olivier Perret, collaborateur du magazine chrétien engagé “Golias”, l’évêque Yves Le Saux, figure issue de l’Emmanuel, est mis en cause pour avoir couvert des abus. Max de Guibert, prêtre du diocèse du Mans ordonné en 1988, a été condamné le 18 janvier 2021 à trois ans de prison ferme pour des agressions sexuelles sur six adolescents à Mamers et Bonnétable, commises entre 1992 et 2003 ; il demeure prêtre. Dans le même diocèse, un second dossier éclaire la gestion des abus. En octobre 2024, la communauté a conclu un accord financier avec deux femmes accusant le prêtre Benoît Moulay de viols au Mans et à Rennes. Cet homme avait été démis de son ministère l’année précédente.

Stratégie d’influence multimédia

Pour autant, ces affaires graves ne semblent pas, pour l’heure, freiner L’Emmanuel sur le terrain de l’influence. Au-delà d’une gouvernance moderne (on y parle “parts de marché”, “marketing” ou “stratégie de croissance”) ou de formations auprès de pasteurs évangéliques américains, médias, cinéma, réseaux sociaux deviennent les canaux d’une foi qui s’affiche et qui promeut des valeurs décrites comme très conservatrices. Ainsi, “Saje Distribution”, qui a diffusé “Vaincre ou Mourir” ou “Sacré-Cœur”, dont la distribution fait actuellement polémique, est majoritairement détenue par l’Emmanuel. Une part du capital appartient à la holding “Ze Watchers”, dirigée par Chantal Barry, très liée à Vincent Bolloré et présentée comme sa “conseillère spirituelle”. Cette configuration aurait favorisé la large diffusion médiatique de films distribués par Saje, notamment le très controversé “Unplanned”, film antiavortement diffusé en prime time sur C8 en 2021.

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Interrogée, la Communauté de l’Emmanuel “n’a pas souhaité commenter” l’ensemble de ces informations. Elle fait toutefois valoir l’existence d’un service d’écoute accessible par mail dédié et d’une commission interne (CPLA) dotée de missions, de règles et de bilans publics. Selon sa documentation, le processus prévoit le signalement éventuel aux autorités civiles et un travail “en lien” avec la gendarmerie, la CRIP (cellule de recueil d’informations sur l’enfance en danger) et des professionnels, notamment médecins, psychologues et juristes.

Il n’empêche, depuis quelques mois, Rome a conscience du problème. Le 24 octobre, le pape a ainsi décrété une “visite apostolique”. Mesure rare, réservée à des structures jugées déséquilibrées ou opaques. Mgr Antoine Hérouard, archevêque de Dijon, est chargé d’auditer la Communauté de l’Emmanuel, dont le siège se trouve dans l’Essonne. Le rapport qui sera remis au Saint-Siège restera confidentiel.

* La face cachée de l’Emmanuel, enquête sur la plus influente communauté catholique de France, par Olivier Perret, Editions Golias, 24 euros, 370 p.

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