Il est des territoires dont l’histoire confère une responsabilité singulière. La Normandie est de ceux-là. Elle porte dans sa chair le souvenir du Débarquement du 6 juin 1944, quand ses plages devinrent le théâtre du combat pour la liberté. Ici, la paix n’est pas qu’un legs ; elle est une promesse qui nous lie aux générations futures.
Déjà au XVIIIᵉ siècle, l’abbé de Saint-Pierre, originaire du Cotentin, concevait un projet de
« paix perpétuelle » entre les nations européennes. Ce Normand des Lumières, membre de l’Académie française, osait penser une Europe unie par le droit plutôt que par la force. Ce rêve d’équilibre et de raison annonçait les fondations de la diplomatie moderne et du multilatéralisme.
Trois siècles plus tard, la Normandie reprend ce flambeau : celui d’une paix qui se construit dans le temps long, éclairée et réfléchie autour d’un écosystème régional que nous bâtissons autour d’une ambition collective. Le Mémorial de Caen, vaste cathédrale laïque dédiée à l’histoire des conflits du XXe siècle et à la paix, incarne ce lien entre mémoire et conscience. Le Prix Bayeux des correspondants de guerre rappelle chaque année que la vérité est souvent la première victime des conflits, et que la liberté d’informer demeure une condition de la paix. L’Institut international des Droits de l’Homme et de la Paix, dont le siège est en Normandie, œuvre quant à lui à l’éducation juridique et éthique des générations futures.
La candidature des plages du Débarquement au patrimoine mondial de l’Unesco, portée par la France pour une décision attendue au début de l’été 2026, ne revêt pas seulement une valeur symbolique. Leur inscription les consacrerait comme un patrimoine universel de la liberté. Car ces plages ne sont pas seulement normandes, ni même françaises ; elles appartiennent à l’humanité tout entière. Inscrire Omaha, Utah, Juno, Gold et Sword au patrimoine mondial, c’est faire du sable de Normandie un livre ouvert sur le courage et la fraternité. C’est rappeler que la paix a une géographie, et que ces lieux de mémoire sont aussi des lieux de conscience. En les protégeant, il s’agit d’affirmer que la liberté ne s’hérite pas : elle se cultive, chaque jour, au nom de ceux qui l’ont défendue.
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Si la mémoire est un devoir, elle ne saurait être un refuge. Fidèle à son passé, la Normandie a choisi d’en faire une force d’action. L’initiative Normandie pour la Paix, imaginée et portée par la Région, fait désormais de la Normandie une destination de référence pour réfléchir et débattre sur les sujets liés à la sécurité internationale et à la paix. Depuis 2018, le Forum mondial Normandie pour la Paix réunit chaque année des personnalités venues du monde entier : dirigeants politiques, chercheurs, diplomates, artistes, ONG, écrivains, prix Nobel… Loin d’être une conférence de plus dans le tumulte des grands-messes internationales, ce forum est avant tout un espace de respiration, de pensée libre, où les fractures du monde peuvent être nommées, comprises, parfois même réparées par la parole. Là se forge une conviction simple : la paix n’est pas seulement l’affaire des chancelleries ; elle nous concerne tous, chacune et chacun d’entre nous.
Un combat de chaque jour
L’initiative Normandie pour la Paix s’articule autour de trois priorités. Il s’agit d’abord de donner des clés de compréhension du monde actuel. Car la paix commence par la lucidité. Dans un monde saturé d’images et d’émotions, la Normandie choisit la profondeur : offrir les clés de lecture d’un temps complexe, remettre la géopolitique à la portée de tous pour lutter contre l’indifférence et, pire, la résignation.
Il s’agit ensuite de faire œuvre de transmission, avec une attention particulière portée à la jeunesse. C’est pourquoi la Région s’adresse directement aux lycéens et à leurs enseignants, à cette jeunesse que le bruit du monde pourrait désenchanter. Des milliers d’entre eux participent chaque année à nos débats, à nos ateliers et la création récente des « Classes Normandie pour la Paix » propose à la communauté éducative un format original d’éducation à la paix et à une citoyenneté éclairée.
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Il s’agit enfin de porter une ambition, celle d’une paix durable dans un monde où les certitudes s’effondrent et où le multilatéralisme s’effrite. Le Manifeste Normandie pour la Paix, écrit par plusieurs prix Nobel de la paix, en fixe les principes : la paix n’est pas seulement l’absence de guerre, mais un état de justice, d’équité et de respect mutuel. Elle requiert des institutions solides, mais aussi une culture du dialogue et du compromis. Elle suppose d’admettre la complexité, d’écouter avant de juger, de préférer la parole à la force.
A l’heure où la guerre est de retour sur le sol européen, où les démocraties doutent et les populismes prospèrent, la Normandie rappelle que la paix est une lutte permanente. Elle n’est ni un héritage ni une évidence : elle est un combat de chaque jour.
Comme le faisait si justement remarquer l’ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan (1938-2018), la paix doit être l’œuvre des peuples, plutôt que d’être imposée par les puissants. C’est forte de cette conviction que la Normandie puise sa vocation : faire dialoguer, éduquer et transmettre pour que la paix ne soit pas une parenthèse de l’histoire, mais devienne bien notre horizon commun.
BIO EXPRESS
François-Xavier Priollaud est vice-président de la région Normandie, maire de Louviers (Eure) et membre du Comité européen des Régions.
Cette tribune s’inscrit dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix, organisé par la Région Normandie, dont « le Nouvel Obs » est partenaire. La 8e édition se tiendra les 9 et 10 avril 2026 à Caen. Plus d’informations sur https://www.normandiepourlapaix.fr/
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.