Au bout d’une journée où il a fait deux paseillos sur la scène de la plus grand plaza de la planète, José Antonio Morante, “Morante de la Puebla”, triomphateur absolu et incontestable, s’est coupé la coleta signifiant une retraite inattendue au sommet de sa carrière. Le mundillo reste sous le choc. Parc ce geste et si c’était encore possible, le génial andalou s’est installé un peu plus haut encore dans la longue histoire de l’art taurin.
La très taurine pendule de Las Ventas marque précisément 19 h 36 et personne n’imagine à cet instant qu’elle va s’arrêter là pour l’éternité ! Après une nouvelle faena d’exception et de déraison, après une nouvelle Puerta Grande capitale avec vue sur la calle Alcala et la statue… d’Antoñete toute neuve, après une frayeur froide aussi, « Tripulante », le colorado de Garcigrande l’ayant laissé inerte sur le sable, capote abandonné, José Antonio Morante, vuelta lente et chaleureusement fêtée se dirige vers le centre de son pas lent, fatigué, inimitable. Là, on le voit porter ses mains derrière la nuque et on commence ou plutôt on craint de comprendre. Le génie de la Puebla va s’arrêter à cet instant après la temporada la plus riche de sa mystérieuse carrière. Il a du mal à couper sa mèche (il dira plus tard qu’il l’a seulement enlevée…) mais finit par la brandir vers le public. Le coup de théâtre, le terremoto serait plus juste, va parcourir la planète taurine à la vitesse de cette lumière qui s’éteint !



Il n’y aura plus de printemps à Séville
Tant pis pour les adieux, réussis, du pauvre Fernando Robleño, tant pis pour la confirmation, courageuse de Sergio Rodriguez, il n’y en a que pour Morante. Vingt mille cœurs et plus, orphelins déjà, s’interrogent, les regards sont autant de questions, de refus aussi, de cette scène étrange, inattendue dont personne ne veut. Pas aujourd’hui, pas maintenant et surtout jamais ! Quatre heures après cette matinée de renaissance (Curro Vasquez et César Rincon a hombros avec la jeune Olga !), l’aficion la plus exigeante du monde semble entrer dans le deuil. Il n’y aura pas assez de larmes pour accompagner les pleurs du Guadalquivir, il n’y aura plus de printemps à Séville.




En toréant aussi bien qu’ici même pour la San Isidro (mieux au pays des humains, ce n’est pas possible) et partout ailleurs depuis toutes ces années, en cheminant, apaisé, vers les dernières minutes de son passage sur terre, “el diestro cigarrero” comme on l’appelle de l’autre côté des montagnes, a émerveillé une dernière fois les heureux “élus” venus attendre un geste, une naturelle, un trincherazo ou une de ses saintes véroniques capables en un souffle, de rendre la vie plus belle. D’enluminer le gris de nos pauvres ordinaires. Le choc de son geste atroce et merveilleux, l’impact de cet adieu décrété nous a plongés dans un état de sidération, le bonheur d’être là le disputant à la douleur de, peut-être, ne jamais pouvoir y revenir.
“Celui de la Puebla…”
Il y avait un peu de ce sentiment, le dimanche 16 septembre 2012 à Nîmes, en début d’après-midi, l’inoubliable chef-d’œuvre de José Tomas à peine refroidi. La même question nous est revenue sans réponse évidemment. “Pour qui désormais décidera-t-on au dernier moment de prendre la voiture et de faire mille kilomètres dans la journée ?” Nous connaissons de vrais aficionados qui ne sont jamais revenus aux arènes “après Tomas”. Nous savons que d’autres, comme “celui de la Puebla”, leur Morante, se couper à leur tour cette petite queue de cheveux symbolique dont se parent les toreros tant qu’ils “vivent”.
À Las Ventas dimanche, la retraite du maestro des maestros réalisée, un hurlement, « Morante vuelve ! ». Il reviendra peut-être un jour mais tous ceux qui l’ont tant aimé ne seront peut-être plus là pour le voir. En attendant, le sorcier est parti sur les épaules d’une foule à la fois déchaînée et recueillie dans la nuit madrilène. Le soleil se lèvera-t-il sur nos autres matins ?


