À Saint-Sardos, dans le Tarn-et-Garonne, la cave coopérative centenaire vacille sous le poids des dettes. Entre désillusions et fidélité à une terre qu’il refuse d’abandonner, son président, Romain Miramont, tente de sauver ce qu’il reste d’un vignoble à bout de souffle, mais pas encore résigné.
À Saint-Sardos, petit village du Tarn-et-Garonne entouré de vignes roussies par l’automne, la cave coopérative vit ses heures les plus sombres. Depuis mars 2023, son président, Romain Miramont, pas encore 50 ans, tente d’éviter le naufrage. “Depuis les années 2010, maintenir un chiffre d’affaires et une clientèle est très compliqué”, confie-t-il d’une voix calme, presque résignée. Une lente descente que rien ne semble pouvoir enrayer.
Les ennuis ont commencé il y a plus de dix ans, après l’équivalent d’un millésime perdu suite à un problème œnologique. “Quand on perd un client, il est très difficile de le reconquérir, même si on fait de gros efforts l’année suivante”, regrette-t-il. À l’époque, la grande distribution absorbait la moitié de la production, le reste s’écoulait au caveau ou chez les cavistes. Mais en 2023, tout s’effondre : rupture de contrat avec l’agent indépendant qui portait ce marché, hausse vertigineuse des coûts de l’énergie, consommation de vin en berne. Résultat : un déficit de 620 000 euros et une cave placée en redressement judiciaire.

“On savait que la situation était critique, mais pas à ce point.” Depuis, tous les six mois, Romain Miramont se rend au tribunal de commerce de Montauban. “Les juges sont bienveillants, ils cherchent à nous aider.” L’espoir, désormais, tient à un fil : une baisse de créance que l’administrateur judiciaire doit proposer aux créanciers. Si l’État et les banques ne bougeront pas, les viticulteurs et les fournisseurs devront décider. “Avec cette baisse, on pourrait ramener la dette autour de 380 000 euros, à rembourser sur quinze ans.”
Mais dans le vignoble, l’atmosphère est lourde. L’an dernier, la prime à l’arrachage a convaincu plusieurs voisins de tout arrêter. “En 2023, nous avions encore une centaine d’hectares et vingt-cinq viticulteurs. Deux ans plus tard, nous ne sommes plus que huit à exploiter quarante-huit hectares.” La voix se brise : “Je comprends ceux qui sont partis. Le maïs, l’ail ou la noisette rapportent davantage aujourd’hui qu’une vigne qui ne paye plus les salaires.”
Le poids de l’héritage et la fierté du dernier combat
Lui s’accroche, par fidélité. À son père, viticulteur avant lui, à ceux “qui ont bâti la cave dans une époque pleine d’optimisme et de joie de vivre”. Mais le poids de l’héritage pèse. “Parfois, je me demande si ce n’est pas trop lourd à porter.” Il sourit pourtant, presque pour s’excuser : “On reste passionnés. Tant qu’on aura du vin à partager, il y aura un peu de vie ici.” Sur les neuf salariés, deux ont déjà été licenciés. Les autres s’accrochent, entre espoir et lassitude. “L’idée d’un rachat existe, peut-être par une autre cave d’un autre département, mais je ne veux pas me bercer d’illusions.”
Et pourtant, à la boutique, la vie continue. Les touristes s’y arrêtent, attirés par les étiquettes colorées, les habitants du coin viennent encore “boire un coup, parler du temps et de la vigne”. Romain Miramont regarde les bouteilles alignées, les yeux pleins de fierté : “Liquidation ou pas, on terminera l’année dans la joie. Il faudra nous suivre sur les réseaux sociaux de la Cave car on compte bien organiser des évènements. Le Saint-Sardos reste unique : c’est le seul vignoble de France à associer la Syrah et le Tannat. La finesse épicée de l’un, la force de l’autre… comme une image de nous, en somme.” Un vin de résistance, à l’image de ceux qui le font. À bout de souffle peut-être, mais toujours debout.
Dix siècles d’histoire
Entre Garonne et Lomagne, le vignoble de Saint-Sardos a toujours vécu au rythme des vents contraires. Ici, la vigne n’a jamais poussé sans lutter. Des moines du XIIIe siècle aux vignerons d’aujourd’hui, l’histoire de ce terroir s’écrit dans la persévérance, le verre à la main.
À l’époque médiévale, les moines bénédictins faisaient déjà rayonner le vin de Saint-Sardos jusqu’aux tables toulousaines. Leurs cépages, patiemment acclimatés aux humeurs du ciel, ont bâti la réputation d’un cru à la fois discret et obstiné. Puis vinrent les guerres, les crises, le phylloxéra : autant de coups portés à un vignoble qui, à chaque fois, s’est relevé.
Il faudra attendre 1956 pour que la renaissance prenne corps. Cette année-là, quelques vignerons décident de s’unir. La cave coopérative naît, sobre et solide, héritière des gestes anciens. Du raisin au verre, tout se fait ici, dans le même souffle : la vendange, la vinification, la mise en bouteille. Une maîtrise revendiquée comme un acte de foi en la terre.
En 2011, la consécration tombe : Saint-Sardos obtient l’AOC. Une récompense plus qu’un trophée, symbole d’un combat collectif pour faire reconnaître la singularité d’un sol et la justesse d’un climat. Depuis, les vignerons poursuivent leur route, entre tradition et sobriété, défendant une production raisonnée, presque militante.
Dans les caves fraîches du village, on goûte ce vin charpenté comme un manifeste : celui d’un pays qui ne cède ni à la facilité ni à l’oubli. À Saint-Sardos, le temps a le goût du courage.