Au procès de Cédric Jubillar, l’enfance placée et les blessures d’abandon de l’accusé ont été longuement évoquées. Sans établir de lien direct entre ce passé et le crime dont il est accusé, la psychologue clinicienne Morgane Bonet décrypte les séquelles que laissent ces ruptures précoces dans la construction d’un individu.
L’enfance de Cédric Jubillar, faite de ruptures et de foyers successifs, éclaire un questionnement plus large : que deviennent les enfants privés trop tôt d’un cadre stable et aimant ? Né d’une mère âgée de 17 ans à l’époque et d’un père totalement absent, celui qui est actuellement jugé pour le meurtre de sa femme Delphine, est confié à l’Aide sociale à l’enfance à deux ans. Suivent des allers-retours entre foyers et familles d’accueil, puis un retour difficile chez sa mère. À 11 ans, il est de nouveau placé, cette fois durablement. “Cédric ne supportait pas qu’on le largue. Dès qu’il sentait le rejet, il se braquait”, dira plus tard une éducatrice.
Ce schéma, la psychologue Morgane Bonet, clinicienne spécialisée dans l’enfance et l’adolescence, le connaît bien : “Les enfants abandonnés ou placés présentent souvent des carences affectives susceptibles d’engendrer des troubles du développement psychique”. Mais, précise-t-elle, “le placement n’est pas pathogène en soi : ce qui abîme, c’est la discontinuité des liens, le traumatisme du rejet ou de la négligence”.
Blessures narcissiques et reproduction de la violence
Selon les théories de l’attachement, un enfant a besoin d’une base de sécurité pour se construire. En son absence, il peut développer un attachement “insécure” : évitant, ambivalent, désorganisé. “Ce dernier crée de la confusion dans la relation à l’autre, entre besoin de lien et peur de l’abandon”, poursuit la psychologue. Ces failles peuvent engendrer impulsivité, agressivité ou troubles de la conduite.
Les experts du procès décrivent Cédric Jubillar comme un homme “privé de sa maman et en recherche d’affection perpétuelle”. Pour Morgane Bonet, cela renvoie à une blessure narcissique profonde : “C’est une atteinte à l’image que l’on a de soi. Être dévalorisé ou abandonné dans l’enfance construit un moi très fragile.”
Cette fragilité peut nourrir un besoin de contrôle dans la relation : “La peur du rejet peut provoquer des réactions extrêmes à la séparation”, explique-t-elle, avant de tempérer : “Toutes les personnes qui ont peur de l’abandon ne deviennent pas violentes.”
“La maltraitance crée un modèle auquel on se réfère”
L’enfance de Cédric, marquée aussi par des violences, illustre un autre mécanisme : la répétition. “La maltraitance crée un modèle auquel on se réfère. Une personne reproduit ce qu’elle connaît, même si cela la fait souffrir. La violence se transmet parfois de génération en génération”, observe la psychologue.
Pour Morgane Bonet, ces parcours n’enferment pas pour autant ceux qui les ont subis : “Ces blessures précoces ne condamnent pas, mais elles compliquent la gestion des émotions et des relations si elles ne sont pas accompagnées.”
Évoquée au procès, l’enfance difficile de Cédric Jubillar n’en fait pas pour autant l’auteur du crime dont il est accusé. Mais elle rappelle, plus largement, que les premières failles de la vie laissent souvent une empreinte durable.