L’Ordre des médecins alerte sur une dérive qui prend de l’ampleur. En trois ans, les violences signalées ont presque doublé, pour atteindre 1 992 incidents en 2024. Un phénomène devenu structurel, qui interroge sur l’avenir de l’exercice médical en France.
Insultes, menaces, falsifications et agressions… les violences contre les soignants explosent. Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a publié le 29 septembre dernier son Observatoire annuel de la sécurité des praticiens. Le constat est sans appel : 1 992 incidents ont été recensés en 2024, contre 1 581 en 2023, soit une hausse de 26 %.
Depuis 2021, les signalements ont progressé de 95 %. Pour le Dr Jean-Jacques Avrane, coordonnateur de l’Observatoire, “le nombre de signalements a littéralement explosé après la crise du Covid”. Le rapport détaille la nature de ces violences : 1 207 agressions verbales ou menaces, 306 falsifications de documents, 166 vols ou tentatives de vol, 105 agressions physiques et 104 actes de vandalisme.
“La face visible de l’iceberg”
Ces chiffres, qui reposent sur des déclarations volontaires via une fiche de signalement, ne reflètent selon les responsables de l’Ordre que “la face visible de l’iceberg”. Les disparités territoriales sont également marquées. Les Hauts-de-France arrivent en tête avec 477 déclarations, devant la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (439).

Le profil des victimes révèle par ailleurs une surreprésentation des femmes, qui représentent 55 % des médecins agressés. Du côté des agresseurs, il s’agit dans 58 % des cas du patient lui-même et, dans 12 % des faits, d’un accompagnant. La grande majorité des incidents survient en médecine de ville, qui concentre 74 % des signalements.
Crispation croissante
Les généralistes, premiers points d’accès au système de soins, sont les plus touchés avec 63 % des agressions recensées, alors qu’ils représentent 57 % de la profession. Mais de nombreux spécialistes sont également concernés : psychiatres (4 %), souvent en raison des tensions autour des prescriptions de substituts aux opiacés, mais aussi ophtalmologues, gynécologues, cardiologues, dermatologues ou médecins du travail (environ 2 % chacun).
Les motifs invoqués traduisent une crispation croissante autour de la relation médecin-patient. Près d’un tiers (32 %) concerne des reproches liés à la prise en charge, 17 % des refus de prescriptions, comme les arrêts de travail, examens, médicaments jugés non justifiés, et 8 % des temps d’attente considérés comme excessifs.
Falsification de documents
La falsification de documents médicaux représente désormais un quart des incidents, alors qu’elle était longtemps restée marginale. Face à ces violences, peu de médecins portent plainte : seuls 35 % le font et 7 % se contentent d’une main courante. La plupart renoncent, par manque de temps ou par crainte d’aggraver la relation avec des patients souvent en grande précarité.
Pour “casser cette spirale de la violence”, l’Ordre a notamment signé “une centaine de protocoles” avec des parquets, Agences régionales de santé (ARS) et forces de l’ordre, pour favoriser le contact direct et une justice plus rapide.
Sur le plan législatif, la loi Pradal, adoptée en juillet, a renforcé le cadre en créant un délit d’outrage spécifique et en alourdissant les sanctions pour violences contre les soignants. Elle permet désormais à un employeur ou à l’Ordre de déposer plainte au nom du médecin agressé et place les professionnels de santé au même niveau de protection que les forces de l’ordre ou les élus. Mais plusieurs décrets d’application se font encore attendre, retardant l’entrée en vigueur complète du dispositif.