Agriculteurs en colère, les éleveurs du Lot dénoncent des coûts qui explosent, des revenus en berne et des normes étouffantes. Entre PAC en baisse et concurrence du Mercosur, une question s’impose : comment survivre ?
“Dans les fermes, on n’a pas le moral”, souffle Jean-François Rouquié. Ce mercredi midi, comme bien souvent, toute la famille est attablée. Le grand-père, les parents, et maintenant les deux enfants, travaillent tous ensemble dans la ferme familiale, située à Durbans, au cœur du parc régional des Causses (Lot).

Clément et Julie Rouquié sont la sixième génération d’éleveurs. Lui s’est installé en 2018, et sa petite sœur en 2022. Ils gèrent une exploitation de 600 hectares et plus de 1 400 bêtes. Ils élèvent des brebis Causse du Lot, dont la viande est labellisée et vendue à l’abattoir de Gramat. En ce moment, les Rouquié sont en plein agnelage. “Ça, on ne peut pas le mécaniser !”, plaisante le grand-père, Pierre. Dans les quinze derniers jours, 360 agneaux ont vu le jour. Julie veille dans ce qu’elle appelle “la maternité”, l’un des hangars de la ferme. Elle n’intervient pas lors de la naissance. Une demi-heure après avoir vu le jour, l’agneau est censé marcher. “On attend qu’il soit complètement sec et on le puce. Je désinfecte le cordon, puis je fais des lots. Rouge, bleu, violet… Les agneaux sont coquins, ils montent sur le dos de leur mère et s’échappent dans le couloir. Ils font la course !”, s’amuse la jeune agricultrice. Alors les couleurs lui permettent de retrouver à quel troupeau l’agneau appartient, et donc de retrouver sa mère plus facilement.

Dans un autre hangar, les agneaux ont bien grandi. Ils ont déjà un an. Les femelles s’apprêtent à poursuivre la reproduction, et les mâles à partir à l’abattoir. “Notre coût de production avoisine les 12 euros, mais nous vendons l’agneau à 10. On perd deux euros par bête. C’est là qu’on a besoin de la PAC”, assure Clément, qui est co-président des JA (Jeunes Agriculteurs). La politique agricole commune fait beaucoup grincer des dents. L’éleveur poursuit : “Ils parlent de baisser de 20 % la PAC en 2027. Alors pendant deux ans, on ne va pas investir… Et puis 20 % pour certaines exploitations, ça représente le salaire”.
“On n’a aucune perspective”
Avant de reprendre le travail dans l’après-midi, qui a commencé vers 5h30 ce matin et risque de ne pas se terminer avant 23 heures, Clément apprend à son grand-père que les engrais pourraient augmenter de 30 euros par tonne. L’homme, qui a pris sa retraite il a quelques années, secoue la tête. Tous les coûts agricoles sont en hausse. “Heureusement, nous, nous sommes plus ou moins autonomes. Sur 80 hectares, on produit nos propres céréales. On n’a pas besoin d’acheter de foin ni de paille”, décrit Jean-François.
Mais d’autres points noirs viennent ternir ce tableau, déjà pas très réjouissant. “Le Mercosur”, souffle tristement Valérie, la maman. En début de mois, la Commission européenne a validé l’accord avec ces pays d’Amérique du Sud. De la concurrence jugée déloyale par les éleveurs. “Nous n’avons déjà pas les mêmes normes qu’ailleurs en Europe, mais si on importe de la viande du Mercosur, qui est traitée de partout, ça va devenir compliqué. Le consommateur ne va pas acheter notre viande car elle sera plus chère”, regrette la mère de famille. Son mari ajoute : “On ne se bat clairement pas avec les mêmes armes”.

“Et la laine !”, s’exclame Clément. Il s’explique : “Les entreprises de nettoyage ont cessé en France car, soi-disant, cela pollue et donc il y a énormément de normes. Alors, plus personne ne veut se lancer. La laine, on ne peut pas la brûler ni rien. On la donne au marché chinois. Au départ, gratuitement alors que ça nous coûte 3 euros à l’envoi. Maintenant, ils l’achètent 10 centimes le kilo, soit 15 centimes par brebis, c’est dérisoire. Ils la lavent là-bas puis tout finit par revenir chez nous. On marche sur la tête”. En conclusion : pour les agriculteurs, il y a trop de normes. Et qui dit trop de normes, dit énormément d’administratif. Dans le salon de la maison familiale, Valérie a son bureau. Elle y tient différents carnets. “Je ne vais presque plus aux granges, je passe mon temps à faire de l’administratif, c’est énorme”, regrette-t-elle. Son fils insiste : “La loi Duplomb, c’était un peu la lumière au bout du tunnel pour nous. C’étaient des facilités administratives”. Sans parler de l’installation de jeunes agriculteurs qui n’est “pas facilitée”. Le co-président des JA regrette : “Il y a des jeunes qui attendent leur DJA depuis plus de deux ans”. La famille Rouquié retourne à l’étable, le moral alourdi. Clément conclut : “On n’a aucune perspective, on n’a pas d’avenir”.
Pour toutes ces raisons, la FNSEA a appelé à une mobilisation des agriculteurs entre ce jeudi et ce vendredi. Dans le Lot, le mouvement est suivi. La FDSEA et les JA annoncent une mobilisation à Cahors, Figeac, Saint-Céré, Souillac et Montfaucon à travers des actions symboliques. À ce stade, aucun blocage de la voie publique n’est envisagé.