September 9, 2025

"À 77 ans, j’en ai pleuré"… Minée par le trafic, la boulangerie de quartier ferme pour le plus grand désarroi du patron

l’essentiel
À Toulouse, la Panetière de la Cartoucherie a définitivement fermé ses portes début septembre. Pour son fondateur, Bernard Moly, le trafic de cigarettes installé devant l’établissement a fait fuir la clientèle. Une fermeture administrative, quelques mois plus tôt, avait déjà fragilisé la boulangerie.

Un homme fume une cigarette, adossé au mur nu de briques rouges. Ce mardi 9 septembre, il vient d’ôter les panneaux de la Panetière de la Cartoucherie. Il ne reste plus que l’enseigne principale, la plus lourde, qu’il promet de décrocher bientôt. Dans ce quartier en pleine mutation, les traces de la boulangerie, ouverte en 1986, s’effacent peu à peu.

La vitrine, vidée de ses pains et de ses viennoiseries, reflète désormais le vide. Depuis le 1er septembre, la boutique n’accueille plus aucun client. “On a pris les congés d’été et après j’ai pris la décision de fermer”, souffle Bernard Moly, fondateur du groupe La Panetière, attablé devant des cahiers aux colonnes de chiffres. À 77 ans, l’homme d’affaires, qui avait bâti sa carrière autour du pain, constate la fin d’une histoire. “Je fais les comptes, ça ne me fait pas rire. Je dois licencier tout le personnel. Cette fermeture va me coûter 250 000 euros, l’argent que j’avais prévu pour ma retraite”, lâche-t-il, amer.

Dans le fournil, les employés s’affairent à nettoyer et à ranger. “Je ne sais même pas ce qu’on va faire du mobilier”, glisse encore le fondateur. Le déménagement est imminent, l’effacement irréversible.

Le déclin, lui, remonte à trois ans. Sur le parking de la boulangerie, des bandes de jeunes se sont installées. Rapidement, l’endroit est devenu un point de deal. Cigarettes, protoxyde d’azote… Les trafiquants se sont approprié les lieux. “On avait des tables fixes devant la façade, il a fallu les retirer. La police m’a dit qu’ils finiraient par partir, que ça calmerait les choses”, se remémore M. Moly. Les dealers n’entraient dans la boutique que pour utiliser les toilettes. Sur les murs, ils avaient inscrit au feutre les tarifs de leur marchandise.

100 000 euros investis

Bernard Moly a tenté de riposter. Des vigiles d’abord, qui se sont vite retrouvés débordés. “Ils avaient peur des dealers…”, lâche le septuagénaire. Puis des barrières, des chaînes, pour 100 000 euros de travaux. Tout a été forcé. Même les caméras de vidéoprotection installées par la mairie n’ont rien changé.

“Nous sommes bien aux faits de ces regroupements dans ce secteur. On les traite systématiquement depuis des années, de concert avec la police nationale”, assure Emilion Esnault, adjoint au maire de Toulouse en charge de la sécurité.

Pendant des mois, les sept salariés de la boulangerie sont venus travailler avec la boule au ventre. “Dès 14 heures, les trafiquants investissaient les lieux”, confirme Serge, le responsable.

Zola, en alternance dans la boutique, raconte à son tour : “Quand on était seuls l’après-midi, surtout les filles, c’était pesant. Même pour nous, les garçons, certains jours ça devenait insupportable.”

Face à cette pression, le chiffre d’affaires s’est effondré. De 3 000 euros quotidiens, la caisse est tombée à 500. “C’était devenu intenable. J’ai pleuré, je me sentais mal à 77 ans. Fermer le premier magasin que j’avais acheté à Toulouse m’a brisé”, reconnaît l’homme d’affaires.

Une fermeture administrative

La Panetière de la Cartoucherie était pourtant, il y a trois ans encore, la première boulangerie de la région en termes de ventes. “Personne ne veut acheter son pain en se faisant agresser verbalement”, dénonce Serge. Même les promotions – trois baguettes achetées, une offerte – n’ont pas suffi à inverser la tendance.

Pour Bernard Moly, la responsabilité de l’échec est claire : “Le personnel, je n’ai rien à lui reprocher. Les produits n’ont pas changé. La seule explication à la fermeture, c’est le trafic.” Pourtant, selon une source policière, un des employés aurait été très conciliant, voire accommodant, avec les trafiquants.

Ces derniers mois, la boulangerie avait aussi dû faire face à une fermeture administrative après le passage des services d’hygiène. Un rapport édifiant, dit un connaisseur du dossier, qui évoque de nombreuses observations négatives, dont la présence de nuisibles. “On a dû refaire le plafond et une semaine après on rouvrait”, relativise le gérant de la boulangerie.

Le fondateur, propriétaire des murs, envisage désormais de louer les locaux. Un garage a déjà manifesté son intérêt. À ses côtés, deux autres commerces du parking – une supérette et un fast-food – souffrent eux aussi de la situation.

Jean-Philippe Sellini, patron du restaurant voisin, déplore une baisse de chiffre d’affaires de 15 à 20 %. “Je fais la guerre avec les zonards, je les chasse tous les jours. Mais rien n’a changé en trois ans. On résiste tant bien que mal, mais ça devient dur.”

Ce mardi, peu avant la pause déjeuner, d’anciens clients se sont arrêtés devant la vitrine désertée. Ils ont rebroussé chemin, déçus. Bernard Moly, lui, avait espéré voir son petit-fils reprendre un jour l’affaire. Il aura finalement fallu céder face à une réalité devenue invivable.

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