Ce vendredi 1er août, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a déclaré au micro de Franceinfo qu’il suspendait les évacuations de Palestiniens de Gaza vers la France, après que des captures d’écran de publications antisémites attribuées à une étudiante gazaouie ont circulé sur les réseaux sociaux. Il s’agit là d’une décision particulièrement injuste. Injuste car, quand bien même les accusations contre cette étudiante seraient fondées, elles n’obligent nullement la France à appliquer une punition collective à l’encontre des Palestiniens de Gaza en attente d’une évacuation, parmi lesquels les vingt-six lauréats du Programme PAUSE (Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil) piloté par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, créé en 2017 spécifiquement en direction de ressortissants étrangers dont la vie est menacée en raison de leurs activités.
Ces lauréats s’appellent Ziad, Osama, Ruba, Mahmoud, Duha… Ils sont chercheurs, cinéastes, poètes, écrivains, ou professeurs. Comme tous les Gazaouis, ils vivent en danger de mort permanent. Comme les 225 journalistes palestiniens dont on a recensé la disparition et qui représentaient une fenêtre sur le monde, ils sont menacés de mort car ils sont l’avenir de Gaza, et de cet avenir-là, le gouvernement Netanyahou et l’extrême droite israélienne de Bezabel Smotrich et Itamar Ben-Gvir n’en veulent pas, ni pour Gaza, ni pour la Palestine, puisqu’ils en nient l’existence.
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L’élimination de ces acteurs de la société civile palestinienne, a fortiori gazaouie, participe du projet insensé de l’exécutif israélien dont la mécanique implacable a été exposée par la Cour pénale internationale, les Nations unies et de nombreuses ONG, et dont plusieurs éléments répondent aux critères établis par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. Leur disparition revient donc à compromettre l’avenir déjà sombre du peuple palestinien.
Cela fait des mois que les dossiers des vingt-six lauréats palestiniens du programme PAUSE ont été validés par les ministères de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Culture, mais aussi des Affaires étrangères et de l’Intérieur, lesquels ont pu les « screener » avant d’octroyer leur validation. Cela fait des mois que, malgré leurs dossiers acceptés, les vingt-six lauréats palestiniens du programme PAUSE attendent que la France veuille bien respecter ses engagements à leur égard et procéder à leur évacuation. En vain. C’est pour cette raison que, le 19 mai dernier, plusieurs personnalités de la société civile française ont alerté, dans une tribune publiée dans « le Monde », des graves dysfonctionnements dans le soutien des institutions françaises à ce programme national, lequel n’avait encore abouti à l’évacuation de ces lauréats et de leurs proches. Elle soulignait également alors la responsabilité politique et morale, toujours actuelle, de la France qui se targue d’être une puissance influente au Moyen-Orient.
En dépit des relances effectuées par plusieurs collectifs et de dizaines de parlementaires, ces évacuations n’ont toujours pas eu lieu.
Depuis lors, Ahmed Shamia, un architecte qui faisait partie des lauréats, a été assassiné par l’armée israélienne.
Depuis lors, « le pire scénario de famine est en cours dans la bande de Gaza », pour reprendre les mots d’un récent communiqué de l’ONU. Dans celui-ci, l’ONU avance que près de 40 % de la population passe désormais plusieurs jours sans manger et que l’ensemble des enfants de moins de 5 ans est exposé à un risque de malnutrition aiguë, des milliers d’entre eux souffrant déjà de malnutrition aiguë sévère, la forme la plus mortelle de sous-alimentation. A cela, il faut ajouter la destruction des infrastructures d’assainissement et d’approvisionnement en eau potable, ainsi que de 90 % des établissements de santé, alors même que des maladies mortelles sont en augmentation et que l’armée israélienne poursuit ses bombardements, causant toujours plus de morts et de blessés.
Pourtant, le Président de la République, Emmanuel Macron, avait affirmé lors de son discours de la Sorbonne, le 5 mai, et réaffirmé à nouveau à l’IMA, le 5 juin, l’urgence d’accueillir ces personnes « au nom de cet universalisme scientifique, jumeau de l’universalisme européen. » Cette vision des choses est la nôtre, Ziad, Osama, Ruba, Mahmoud, Duha et les autres lauréats palestiniens du programme PAUSE sont des ponts entre nos sociétés et conservent en eux la promesse d’un monde désirable.
Cette inertie contrastait déjà fortement avec la célérité avec laquelle les autorités françaises mettent en place des dispositifs visant à accueillir les universitaires américains dont les recherches sont menacées par l’administration Trump, ou encore l’accueil légitime des réfugiés ukrainiens par les pays européens. Elle tendait à accréditer le deux poids, deux mesures caractéristique des chancelleries occidentales dès lors qu’il s’agit de Gaza et alors qu’il en va de la vie de personnes œuvrant pour la paix.
Nous n’en sommes même plus là. Décider de suspendre les évacuations de Palestiniens de Gaza au prétexte qu’une étudiante gazaouie aurait produit des publications répréhensibles sur les réseaux sociaux, c’est passer de l’inertie à un renoncement honteux.
Un tel positionnement étouffe l’espoir et enferme les êtres dans un piège mortel.
Nous appelons les autorités françaises à tout mettre en œuvre pour honorer leur promesse de sauver l’ensemble des lauréats palestiniens du programme PAUSE.
Il en va de l’avenir de Gaza et de la Palestine.
Il en va de l’avenir des relations de nos sociétés héritières des Lumières avec un Proche-Orient dont le futur ne pourra s’écrire sans eux.
Signataires :
Ariella Aïsha Azoulay, essayiste et cinéaste
Lilia Ben Hamouda, militante syndicale
Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et essayiste
Rony Brauman, médecin et ex-président de Médecins Sans Frontières
Nicolas Cadène, ancien rapporteur de l’Observatoire de la Laïcité
Marc Cheb Sun, auteur,
Mona Chollet, journaliste et essayiste
Olivier Deau, doctorant (Paris 1 Sorbonne, LADYSS)
François Ducat, cinéaste
Alain Gresh, journaliste et essayiste
Cyrille Javary, sinologue et auteur
William Leday, enseignant en relations internationales à Sciences Po Aix-en-Provence,
Imane Maarifi, infirmière
Imhotep, compositeur et producteur, pour le groupe de musique IAM
Béligh Nabli, Professeur des universités en droit public et essayiste,
Roland Nurier, cinéaste
Hassina Mechaï, journaliste
Christophe Oberlin, chirurgien
Dominique Plihon, économiste et essayiste
Claudy Siar, chanteur, journaliste et producteur
Michèle Sibony, essayiste et porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix
Eyal Sivan, cinéaste et essayiste
Marion Slitine, historienne et anthropologue, fondatrice du collectif Ma’an for Gaza Artists
Pierre Stambul, essayiste et porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix
Khadija Toufik, journaliste
Candice Vanhecke, journaliste
Françoise Vergès, autrice et militante
Audrey Vernon, comédienne et autrice
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.