Le 6 août 1945, à 8h15 heure locale, la ville japonaise de Hiroshima était entièrement détruite par l’explosion de la première bombe atomique larguée depuis un bombardier américain. L’explosion tua instantanément entre 70 000 et 80 000 personnes dans un rayon d’un kilomètre à partir du point d’impact. Le nombre total de victimes avoisinera 200 000 dans les années suivantes, décédées de leurs blessures ou des radiations cancérigènes. Trois jours plus tard, une seconde bombe atomique frappa la ville de Nagasaki, provoquant la mort subite de 40 000 personnes, et un nombre total de morts estimé à 100 000 à ce jour.
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La normalité de Hiroshima
Une version complaisante pour les Etats-Unis considère que l’utilisation de l’arme atomique a permis de mettre rapidement fin à la Seconde Guerre mondiale qui s’enlisait, et d’éviter une invasion terrestre du Japon qui aurait été coûteuse en vies humaines. Une autre version pointe le cynisme criminel des Américains qui étaient conscients des dégâts effroyables que l’explosion atomique allait occasionner. Les Américains redoutaient un rapprochement japonais avec l’URSS après la guerre. Il s’agissait aussi d’établir la domination militaire des Etats-Unis au seuil de la guerre froide. Les archives américaines ont depuis révélé que l’objectif était de provoquer le plus grand nombre de morts civiles, avant même de détruire des cibles militaires ou industrielles. Ces crimes contre l’humanité seraient illégaux aujourd’hui au regard du droit international, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne pourraient pas se reproduire.
Lorsque je sors de la gare de Hiroshima, ce 20 juillet, je suis frappé par la normalité de cette ville, pareille à tant de grandes villes japonaises : fonctionnelle, propre, dynamique et pourtant étonnamment paisible. Un bus m’amène à mon hôtel situé à dix minutes à pied de « l’hypocentre » : c’est ainsi que les habitants de Hiroshima nomment le point d’impact de la bombe qui, de fait, a explosé avant de toucher le sol, dégageant une chaleur atteignant 6 000 degrés Celsius. Cet hypocentre, sorte de Ground Zero, est la borne centrale de la ville. On mesure informellement les distances à partir de ce point : 1 kilomètre à l’est de l’hypocentre, 300 mètres à l’ouest de l’hypocentre, etc.
La rue de Hiroshima où a explosé la bombe, le 6 août 1945, marquée par une borne de couleur marron : un lieu appelé « l’hypocentre ». PHILIPPE MARLIÈRE
Hiroshima est une ville résolument tournée vers l’avenir, mais qui reste éternellement associée à ce 6 août 1945. Sa population a triplé depuis 1945 (1,1 million d’habitants), elle est connue pour le dynamisme de son industrie automobile et de son secteur high-tech. Elle est réputée pour ses délicieux okonomiyaki, ces pancakes truffés de choux, pâtes et viande ou encore ses huîtres gigantesques.
La bombe atomique dévasta le cœur de la ville, poumon commerçant et économique dans l’avant-guerre. Construit en béton pour résister aux tremblements de terre fréquents, le dôme de Genbaku est le seul édifice qui a survécu à l’explosion voisine de quelques centaines de mètres à peine. Il s’agissait à l’origine du hall d’exposition pour la promotion de l’industrie de la préfecture de Hiroshima. Ses ruines ont été conservées et tiennent lieu de Mémorial de la Paix de Hiroshima, classé au patrimoine de l’Unesco.
Les leçons de Hiroshima
Eclairé la nuit, il apparaît tel un spectre aux rares visiteurs qui se promènent le soir sur les bords du fleuve Ota. Le jour, des touristes convergent autour du bâtiment, rejoints quand j’y suis, par une « chorale de la paix ». Je converse avec deux survivants (appelés hibakusha en japonais), dont Mito Kosei, militant inlassable pour le désarmement nucléaire, devenu au fil des ans une célébrité mondiale. Ils sont encore près de 100 000 en vie aujourd’hui. Une survivante m’offre un origami en papier, symbole de la paix au Japon.
Le cœur de Hiroshima a été transformé en Parc commémoratif de la Paix : autour du dôme de Genbaku a été aménagé un grand espace vert avec des allées bordées d’arbres. Dans ce parc paisible et accueillant, on trouve un monument dédié à la paix pour les enfants et un autre aux victimes de l’attaque. Au bout ce parc se dresse le Musée de la Paix de Hiroshima. La visite de l’exposition dure entre deux et trois heures. Elle retrace sobrement l’avant et l’après de l’explosion atomique ; les dégâts matériels et les pertes humaines. On peut voir des images choquantes de dévastation, de blessés ou de morts. Je suis frappé par la quasi-neutralité de l’exposé des faits. Il n’y a aucune manifestation de ressentiment contre l’agresseur, aucun message victimaire ou nationaliste. Dans le musée, je n’aperçois aucun drapeau japonais. C’est un lieu d’éducation populaire adressé au monde entier qui porte un message principal : l’arme atomique est une folie qui peut oblitérer l’espèce humaine en un instant. Je ressors de cette visite très ébranlé comme nombre de visiteurs présents.
Mito Kosei, un survivant de l’explosion et un militant de la paix rencontré près du dôme de Genbaku. PHILIPPE MARLIÈRE
Hiroshima, 80 ans après la catastrophe atomique, illustre la résilience des humains à aller de l’avant : la ville est littéralement renée de ses cendres et a prospéré. Ses habitants sont dévoués à la paix et au désarmement atomique. C’est une leçon politique et morale impressionnante à l’heure où la menace atomique se fait plus vive que jamais. La génération de mes parents, née pendant la guerre, et la mienne, née vingt ans plus tard, a vécu dans l’espoir d’un désarmement nucléaire intégral. Lorsque le club des pays atomiques était restreint (Etats-Unis, URSS, Chine, France et Royaume-Uni), l’arme atomique était conçue comme un moyen de dissuasion mutuelle. Cette assurance a aujourd’hui disparu : les Etats-Unis et la Russie sont dirigés par des personnages autoritaires et imprévisibles ; les voisins ennemis que sont l’Inde et le Pakistan s’en sont dotés, Israël et la dictature nord-coréenne également, et l’Iran pourrait bientôt la posséder. Il est significatif que le premier Traité sur l’interdiction des armes nucléaires de 2017 n’ait été ratifié par aucune des neuf puissances nucléaires.
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La bombe larguée sur Hiroshima avait une puissance de 12 kilotonnes, alors que la plupart des bombes actuelles possèdent plusieurs centaines de kilotonnes. Les Etats-Unis et la Russie possèdent chacun plusieurs milliers d’ogives nucléaires ; un arsenal mondial qui pourrait anéantir plusieurs fois la Terre et toutes ses espèces animales et végétales en quelques instants. Le réchauffement climatique pourrait prochainement mettre en péril l’humanité. Mais nous oublions peut-être que l’arme nucléaire pourrait anéantir toute existence sur Terre encore plus rapidement. Les gesticulations bellicistes de MM. Trump, Poutine ou Kim Jong-un autour de leur arsenal atomique ne sont guère rassurantes.
Le dôme de Genbaku, l’un des rares bâtiments qui aient survécu à l’explosion atomique, a été conservé tel quel, en plein centre ville, comme mémorial. PHILIPPE MARLIÈRE
Ce séjour à Hiroshima m’a rappelé une évidence que l’on ne souligne plus assez de nos jours : l’arme atomique n’est pas une arme comme les autres. Sa capacité de destruction est quasi infinie et sa prolifération dans le monde est une catastrophe que nous devons toutes et tous combattre.
Cet article est une carte blanche, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.