Pour aller plus loin
On l’appelle parfois « la nouvelle Lune », en référence à la course qui opposait Etats-Unis et URSS dans les années 1960. La planète Mars est aujourd’hui le Graal intersidéral, le terrain d’affrontement des grandes puissances, avec la Chine comme nouvel acteur. L’Amérique de Trump en a fait son nouveau fétiche, promettant les premiers pas de l’homme sur Mars d’ici à 2029, avant la fin du mandat du président. Quand on sait les défis techniques et énergétiques colossaux qu’il faut surmonter pour faire de cette vision autre chose qu’une chimère, on mesure la portée symbolique de cette conquête. Etre le premier homme à fouler le sable de la planète rouge serait une formidable affirmation de puissance. A ce jeu, la Chine, qui proclame elle aussi pouvoir envoyer des hommes sur Mars d’ici à 2033-2040, est une vraie menace pour les Américains. Une nouvelle preuve de la confrontation techno-scientifique que se livrent les deux empires, en dépit parfois de toute rationalité.
A lire aussi
Décryptage
Intérêt scientifique ou ego de puissants capitalistes : quel est le vrai moteur de la course à la conquête de Mars ?
Il faut dire que les enjeux de la recherche autour de Mars sont immenses. Depuis les premiers pas de l’homme sur la Lune, on ne connaît pas de terrain plus fertile en exploration spatiale. Comme le décrit l’astrophysicien Francis Rocard dans notre dossier, explorer Mars, devenue une planète fossile il y a trois milliards d’années, devrait nous procurer des informations essentielles sur les origines du Système solaire et l’éventualité que la vie puisse exister en dehors de la Terre.
C’est tout le sens du programme Mars Sample Return, mené par la Nasa et l’Agence spatiale européenne, qui ambitionne de rapporter sur Terre des échantillons de sol martien vers 2033 – une dizaine ont déjà été collectés par le rover Perseverance et attendent d’être récupérés. Mais les coûts colossaux que ce programme implique – près de 10 milliards de dollars – l’ont mis en danger. L’administration Trump l’a considérablement fragilisé en réduisant drastiquement son budget pour privilégier les projets de missions habitées.
La captation des crédits publics par quelques « entreprises amies »
Mars Sample Return est ainsi un nouvel exemple de la manière dont la science peut être sabrée et manipulée par l’administration américaine, au seul profit d’une idéologie messianique de conquête. Trump et ses amis milliardaires de la tech mettent en danger les programmes de la Nasa basés sur la coopération internationale pour privilégier les projets strictement nationaux. Car derrière les accents triomphants annonçant la colonisation de Mars pour les prochaines années – ce que tous les scientifiques sérieux savent irréaliste –, se cache la captation des crédits publics par quelques « entreprises amies », celles des barons de la tech qui ont soutenu la campagne de Trump, Elon Musk avec SpaceX et Jeff Bezos avec Blue Origin en tête. Un mouvement inquiétant, que le sociologue Arnaud Saint-Martin décrit comme une forme d’« astrocapitalisme » et qui ressemble de plus en plus à un système de rente, où les choix scientifiques sont subordonnés à des intérêts industriels et électoraux.
A lire aussi
Rencontre
« Les agences spatiales ont besoin de s’appuyer sur la science-fiction pour justifier leurs monstrueuses dépenses » : le mythe du Martien à travers les âges
Dans un monde idéal, les projets d’exploration et de conquête de Mars ne devraient pourtant pas s’opposer aux exigences de la science, qui repose sur la stabilité des équipes, la planification et la coopération internationale. Mais l’administration Trump, aveuglée par son idéologie, préfère saboter des décennies de recherches scientifiques si elles ne lui apparaissent pas servir directement sa cause. Pendant ce temps, la Chine avance ses pions. En 2021, elle a réussi à poser un rover sur la planète rouge et prépare elle aussi une mission de retour d’échantillons martiens sur Terre, à l’horizon 2031. Son ambition est clairement affichée : voler le leadership spatial que détiennent les Etats-Unis depuis des décennies. Les coups de menton de Trump pourraient ne pas suffire : au rythme où le président américain menace la coopération internationale scientifique, il n’est pas exclu que, soixante ans après la foulée de Neil Armstrong sur la Lune, le premier homme à marcher sur Mars ne soit pas américain… s’il existe même un jour.