Une expertise pointe un risque psychosocial grave chez Nutergia, sur fond de management contesté. La direction de l’entreprise aveyronnaise de compléments alimentaires réfute ces conclusions et met en avant ses actions récentes en faveur du bien-être au travail.
Management agressif, sentiment d’insécurité… C’est ce que conclut le rapport d’expertise mené par Conseil management & Audit (CM & A) au sein de l’entreprise aveyronnaise de compléments alimentaires Nutergia. Le 19 septembre dernier, le Tribunal judiciaire de Rodez tranche en faveur d’un recours à un expert habilité pour analyser les conditions de travail des employés de l’entreprise qui se situe à Capdenac-Gare et Causse-et-Diège.
La justice estime qu’il y a “un faisceau d’indices suffisants pour caractériser l’existence d’un risque grave, identifié et actuel, résultant du seul risque psychosocial et pour la santé des salariés.” Une décision motivée par l’alerte du Comité social et économique (CSE), lancée le 11 avril 2024. Face à ces nouveaux éléments, l’instance de représentation du personnel n’a, pour l’heure, pas souhaité s’épancher. “Nous n’avons pas suffisamment de données à notre disposition pour nous exprimer à ce sujet.”
Mais d’après des documents que La Dépêche du Midi a pu se procurer, les investigations font état de “certaines pressions” subies par des salariés. “Un directeur de département peut adopter des postures physiques de domination à l’encontre du personnel féminin lorsqu’il souhaite établir un rapport de force avec son interlocutrice”, est-il notamment décrit parmi les 180 pages du dossier.
Des agressions verbales recensées
L’enquête de CM & A s’est, dans un premier temps, basée sur un questionnaire distribué à l’ensemble des 300 salariés. Si à la question “Mon supérieur prête attention à ce que je dis”, 72 % estiment être d’accord voire “tout à fait d’accord”, celle posée sur le sentiment de pouvoir parler librement sans crainte de représailles expose une autre tendance : 68 % disent ne pas se sentir en sécurité.

Pour la deuxième partie, le cabinet d’expert s’est ensuite référé à 76 témoignages délivrés sur la base du volontariat. Et au cours des observations, six situations d’agressions verbales, avec mises en cause des compétences, ont été recensées. Ces dernières, “répétées régulièrement et sur une période pouvant aller de plusieurs mois à plusieurs années, conduisent le salarié à se sentir persécuté.”
CM & A note que la “violence interne” concerne plus de services que d’autres, “soit en raison de leur proximité avec le bureau directorial, soit du fait des activités qu’ils gèrent.” Le rapport atteste également du “paternalisme” présent chez Nutergia et met en lumière “une modalité de fonctionnement centralisé.”
Dans nos colonnes du 17 septembre 2024, des employés, sous couvert d’anonymat, dénonçaient leur situation en mettant en cause certains responsables d’équipe au vu “d’un climat délétère où la pression règne.” Ils dressaient aussi du directeur général le portrait peu flatteur d’un “personnage colérique”, avec qui la discussion est jugée “impossible”.
“Les experts se sont seulement appuyés sur des ressentis”
Mais Antoine Lagarde, à la tête de Nutergia, temporise. “Quand je lis tout ça, j’ai l’impression qu’il y a une guerre civile chez nous et que les gens se tapent dessus…” Selon lui, si l’enquête met en évidence certains dysfonctionnements dont il n’avait pas conscience, 90 % de son contenu serait faussé. “Les experts se sont seulement appuyés sur des ressentis, sans vérifier les faits et sans donner la parole à la direction.” À son sens, comme dans toute entreprise, les problèmes relationnels existent. “Nous allons travailler dessus, mais ce n’est pas généralisé.”
Un point de vue que semble partager un cabinet toulousain (dont la rédaction n’a pas le nom), à qui le directeur général a fait appel à la suite des conclusions de CM & A. “Cette histoire nous a quand même coûté 60 000 euros.” Dans une analyse technique, le professionnel agréé stipule que les éléments avancés sont non circonscrits dans le temps. Des faits datant de 2019, 2021, 2022 ou 2023 seraient traités de la même façon que des événements de 2024.
“Par ailleurs, plusieurs choses laissent penser que la procédure n’a pas été respectée.” Un manager, qui occupe un rôle central dans cette enquête, n’aurait pas été formellement consulté ni associé à la mission. “Ce défaut de contradictoire et cette confusion temporelle fragilisent juridiquement l’expertise, qui ne démontre pas que le risque grave invoqué par le CSE était bien actuel ni que les mesures préventives engagées sont insuffisantes.”
“Il ne s’agit en aucun cas de risques psychosociaux”
Pour appuyer ce propos, le dirigeant met en exergue toute la politique sociale conduite depuis 2022. Comme la mise en place d’un accord télétravail pour offrir un meilleur équilibre aux salariés. “Nous venons également d’élaborer une commission pour ceux qui sont proches aidants, avec des jours offerts. Ce sera effectif dès le 1er septembre.” Et réaffirme sa responsabilité en matière de santé au travail. “Au cours de l’enquête, la question de l’ergonomie est revenue. C’est quelque chose que nous avons pris très au sérieux et nous avons décidé, entre autres, d’acheter du matériel pour soulager le personnel.”
Antoine Lagarde est clair : “En effet, des axes d’améliorations existent.” Depuis le mois de juin 2025, Nutergia travaillerait même sous l’égide de plusieurs institutions, comme la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et la médecine du travail, pour développer un plan d’action. “Mais il ne s’agit en aucun cas de risques psychosociaux. Le danger imminent n’est pas justifié.” Pour lui, ce rapport est téléguidé par un “CSE pro CGT très agressif. Mais il faut que nos rapports s’arrangent, ça devient urgent. Je ne veux surtout pas rentrer dans une confrontation stérile.”
À ce sujet, une source proche du dossier explique que deux des membres du Comité sociale et économique seraient en arrêt à la suite de propos violent qui auraient été tenus par le directeur général. Selon cette même source, en 2024, trois arrêts d’ordre psychosocial et reconnus par la CPAM auraient été déclarés, ainsi que 4 en mai 2025. Pour ces derniers, la médecine du travail aurait établi le lien avec les conditions de travail.
Des tracts distribués par la CGT
Récemment, un tract a été distribué par la CGT, en ce qui concerne des mises en demeures faites à Nutergia par l’inspection du travail. Notamment en ce qui concerne l’exposition au bruit. “Ces mesurages sont prévus début septembre, alors que la périodicité légale est de cinq ans. Le dernier rapport datant de 2020 avait déjà révélé un dépassement du seuil des 80 décibels. L’échéance de février 2025 ne sera donc pas respectée. Cela signifie que les salariés sont exposés depuis cinq ans à un risque reconnu.”
Une autre mise en demeure a été faite sur les risques d’explosions : “Un rapport ATEX de juin 2022 préconisait des actions à réaliser avant fin 2025. À ce jour, seulement 5 sur 130 ont été finalisées.” Antoine Lagarde lui affirme être en train de répondre à ces préconisations. “Mais au sujet d’ATEX par exemple, c’est compliqué parce que deux cabinets spécialisés se contredisent sur les démarches à suivre.”
À la recherche d’un nouvel actionnaire majoritaire ?
Le 15 juillet 2025, la CGT dénonce un manque de communication en ce qui concerne une actualité de l’entreprise. “Le vendredi 11 juillet, la direction a adressé une note aux salariées concernant l’arrivée d’un actionnaire majoritaire.” Le syndicat s’insurge “parce qu’une fois de plus, les instances représentantes du personnel n’ont pas été informées, alors que la loi l’oblige”, et s’interroge sur l’avenir de l’entreprise.
Si Antoine Lagarde entend les inquiétudes que cette situation peut provoquer, il nie toutefois l’aspect définitif. “C’est un simple audit avec 3i Group (une société de capital investissement côté à la Bourse de Londres), ça peut ne pas aboutir, nous pourrons nous positionner seulement au mois d’octobre.” Une réflexion motivée par le fait que Claude Lagarde, fondateur de Nutergia, souhaite prendre du recul. Dans le cas où la phase se révèle concluante, l’entreprise aveyronnaise garderait 49 % des parts. En ce qui concerne le manque d’informations données au CSE, le directeur général explique “que tant que ce n’est pas acté, rien ne nous y oblige.”