SERIE (3/6). Menacé d’effondrement, le château d’Esclignac illustre la détresse du patrimoine en péril. Ce joyau millénaire du Gers, entre croisades et figures médiatiques, attend toujours une issue à son blocage successoral.
Il était une fois l’histoire d’un château en désuétude. Celui qui soufflera ses mille bougies en 2030 n’a pas toujours été en péril. La bâtisse médiévale d’Esclignac a vu défiler des générations de seigneurs, de chevaliers et de fantasques scientifiques…

Aujourd’hui, le lieu se trouve dans un état de délabrement avancé, à la merci des intempéries et des explorateurs de l’extrême. Les habitants des environs se désolent d’une telle décrépitude, à laquelle ils assistent impuissants en regardant le sommet des collines verdoyantes de Montfort (Gers). “Je passe tous les jours devant pour aller au travail, raconte Michel. Et la toiture se dégrade chaque saison qui passe.”

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Revenons au premier millénaire… à l’époque où les forêts d’Esclignac abritaient, paraît-il, un sanctuaire druidique. C’est dans cette plaine entourée de verdure que Guillaume Loup, seigneur de Preissac, construit vers l’an 1030 le château d’Esclignac. L’un de ses descendants, Amavin de Preissac, suivit Louis IX à la septième croisade en 1248 et en revint avec un titre de noblesse et des armoiries : “Blason d’argent au lion de gueules” que l’on trouve encore partiellement sculpté sur une porte du château.

La famille de Preissac fut celle qui résida le plus longtemps au château d’Esclignac. En 1485, Bertrand Ier de Preissac fut à l’origine des élégantes fenêtres à meneaux et de l’imposant escalier à vis qui flanque la tour ronde.
À la Révolution, Charles de Preissac, devenu cousin de Louis XVI par son mariage avec Elisabeth de Saxe, dut s’exiler et le château fut vendu. Sous la Restauration, Esclignac est réattribué à un descendant de Preissac. Mais entre-temps, la batisse a été partiellement détruite, pillée de ses cheminées et ses parquets. Charles de Preissac céda le domaine à une branche parente des comtes de La Hitte. C’est sous la mandature de cette famille de la haute noblesse de Gascogne qu’on y découvrit des armes anglaises à la fin du XIXe siècle. Les Anglais avaient effectivement occupé le château pendant la guerre de Cent ans.
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La famille de La Hitte se dessaisit à son tour de l’édifice en 1939, peu avant la Seconde guerre mondiale. Le château glisse doucement vers la ruine. Dès lors, le bal des propriétaires commence.
La folle période Bogdanoff
Le maire de Monfort inspecte l’inventaire des différents propriétaires d’Esclignac. C’est qu’il n’a plus beaucoup de souvenirs tant ils se sont succédé ce dernier siècle. “Monsieur Séraphin y a fait quelques travaux”, se rappelle Régis Lagardère. Deux propriétaires plus tard, les frères Bogdanoff arrivent sur le devant de la scène.

En 1986, Igor et Grichka Bogdanoff, alors stars de la télé avec leur émission “Temps X”, renouent avec leur terre natale en achetant la bâtisse médiévale pour 280 000 euros. Les jumeaux les plus célèbres de France en avaient fait leur lieu de villégiature. “Ils arrivaient en hélicoptère”, se souvient l’édile. Les habitants espéraient y voir un nouveau souffle dans la reconstruction d’Esclignac. En vain. Les deux frères meurent du Covid-19 – le 28 décembre 2021 pour Grichka et six jours plus tard le 3 janvier 2022 pour Igor – sans avoir jamais vraiment rénové le château.

“Avant leur mort, ils venaient déjà peu mais là ils l’ont laissé dans son jus”, rouspète un Monfortois. La situation semble irriter l’ensemble des habitants. Dans le village, des bruits circulent autour d’un projet de complexe hôtelier haut de gamme. “On n’y est pas, nuance le maire. Tant que la question sur l’héritage n’est pas conclue, on ne peut rien faire.”
Un destin incertain
Sans aides de l’État, difficile de s’imaginer Esclignac en meilleure forme. Selon le maire, rien que la réfection du toit coûterait 10 millions d’euros. Inscrit au titre des monuments historiques en 2016, le château est classé par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) au nombre des “édifices protégés en souffrance”. Mais l’imbroglio sur l’héritage bloque toute solution.
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Désormais, un arrêté municipal pris en octobre 2024 en interdit l’accès. Toutefois, les menaces d’effondrement n’effraient pas les amateurs d’urbex, curieux d’admirer les joyaux encore présents dans l’édifice.

Sur Facebook, il ne reste que Cedric Davant-Lannes, président de l’association “sauvegarde du patrimoine gascon” pour rendre hommage aux richesses intérieures d’Esclignac.
Chapelles, tour ronde, blason… tant de beautés qui font rêver les gens du coin d’un avenir où le château retrouverait son éclat.