Pour aller plus loin
Quoi de neuf depuis Voltaire ? « Nous allons chercher à la Chine de la terre, comme si nous n’en avions point ; des étoffes, comme si nous manquions d’étoffes ; une petite herbe pour infuser dans de l’eau, comme si nous n’avions point de simples dans nos climats. En récompense, nous voulons convertir les Chinois », résumait le « Dictionnaire philosophique » en 1764. Près de trois siècles plus tard, l’Europe n’a pas converti les Chinois à grand-chose : ni au christianisme, ni à la démocratie, ni à l’universalisme des droits humains. En revanche, elle importe toujours davantage de produits made in China : trois fois plus qu’elle n’en exporte là-bas, avec un déficit commercial de plus de 300 milliards d’euros en 2024. Au niveau mondial, l’excédent commercial chinois dépasse même les 1 000 milliards de dollars.
C’est « en train de devenir insoutenable », a plaidé Emmanuel Macron à Pékin en décembre, relayant la panique qui gagne les décideurs français. L’argument n’a pas eu l’air d’ébranler Xi Jinping. Tous ses compatriotes ne sont pourtant pas exactement riches et heureux : la population chinoise vieillit inexorablement, et la protection sociale se révèle si catastrophique que le taux d’épargne des ménages est considérable, ce qui bloque la consommation intérieure et maintient l’économie dans une dépendance accrue vis-à-vis de l’extérieur. Mais, tout à ses rêves d’immortalité, le nouvel empereur de Chine, qui règne depuis 2012, trône chaque jour davantage en maître du monde qui vient.
Il a quelques raisons d’y prétendre. Son pays n’est plus ce « vaste musée sanglant » dont parlait Malraux dès 1926 dans « la Tentation de l’Occident », ni la lointaine contrée sous-développée qui, avec sa main-d’œuvre phénoménale, servait d’atelier pour confectionner exclusivement des objets bas de gamme à destination d’un Occident détenteur des technologies de pointe. Si la République populaire de Chine, cet « Etat socialiste de dictature démocratique populaire », inonde toujours la planète de fringues jetables, de jouets en mauvais plastique et d’aspirateurs qui tombent en panne au bout de deux mois, la voilà désormais qui s’impose aussi, après avoir copié les ingénieurs américains et européens, comme une puissance de premier plan dans bien des secteurs clés du XXIe siècle : électronique, réseaux sociaux, voitures électriques, énergie décarbonée, intelligence artificielle…
« Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera », prophétisait en 1973 un best-seller d’Alain Peyrefitte. Nous y sommes, et pas seulement sur le plan économique. Face à un président américain fébrile, erratique et obsédé par des deals à courte vue, Xi Jinping a beau jeu d’exhiber sa force tranquille et de présenter son empire du Milieu comme un pôle de stabilité dans le nouveau désordre international. Il a cette année encore augmenté son budget militaire, de 7,2 %, pour consacrer plus de 200 milliards de dollars à son armée et la classer comme la deuxième du monde. De quoi rendre explosives les tensions avec l’Inde, le Japon ou surtout Taïwan, et tragiquement inefficaces les protestations contre la colonisation du Tibet, le génocide des Ouïgours, la cruauté du régime avec ses dissidents. De quoi méditer, aussi, la glaçante polysémie du dicton félin de Deng Xiaoping, qui dirigea le pays de 1978 à 1989 : « Peu importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il attrape des souris. »
Comment en est-on arrivé là ? Et jusqu’où le chat chinois peut-il aller ? La vitesse avec laquelle la Chine communiste s’est convertie au capitalisme le plus vorace, notamment depuis son entrée dans l’Organisation mondiale du Commerce en 2001, ne doit pas nous aveugler. Son impérialisme vient de loin, de très loin. Une fois envisagé dans le temps long, qui est celui de l’histoire chinoise, il est tout sauf une anomalie. Et il faut, pour saisir ses ressorts et ses ambitions, se plonger dans l’extraordinaire épopée d’une civilisation multiséculaire, pleine de bruit, de fureur et d’expériences politiques traumatisantes, mais aussi de découvertes scientifiques majeures, d’industries luxueuses et de personnages hors du commun. C’est l’objet de notre dossier spécial de fin d’année. Bonne lecture, bon voyage au pays des fils du Ciel.

