December 17, 2025

REPORTAGE. "La dangerosité de la dameuse à treuil, c’est ce câble, on ne le voit pas" : nuit blanche au cœur des équipes de damage des pistes de ski

l’essentiel
Quand la station d’Ax 3 Domaines ferme ses portes et que la montagne s’enfonce dans la nuit, une autre activité commence. À l’abri des regards, les dameurs prennent le relais des skieurs pour façonner, à l’aide de machines high-tech et d’un savoir-faire précis, le manteau neigeux des pistes. Immersion dans ces nuits blanches où se prépare, dans le froid et l’ombre, la glisse du lendemain.

Quand les derniers skieurs quittent les remontées et que les portes de la station d’Ax 3 Domaines se referment, la montagne ne s’endort pas. À la tombée de la nuit, sur les 80 kilomètres de pistes qui serpentent entre 1 400 et 2 400 mètres d’altitude, un autre ballet commence. Des phares percent l’obscurité, les moteurs grondent doucement : les dameuses entrent en scène. Telle une fourmilière lumineuse, le service de damage se met en mouvement pour préparer, dans l’ombre, le velours du lendemain matin.

À la tête de cette organisation nocturne, Benjamin Soulans, responsable du pôle neige. Chaque soir, dès 17 h 30, l’équipe se rassemble au quartier général des services techniques. L’atmosphère est détendue, ponctuée de cafés et d’échanges familiers, mais les écrans rappellent la complexité de la mission. “On s’appuie sur un logiciel essentiel pour les pistes, le chef de piste et la neige de culture”, explique-t-il.

Selon la période de la saison, entre sept et dix personnes se relaient.
Selon la période de la saison, entre sept et dix personnes se relaient.
Nicolas Guion

De 17 h 30 jusqu’à l’ouverture de la station

Ce logiciel, véritable cerveau des opérations, se présente sous la forme d’une cartographie détaillée des pistes. Il centralise les hauteurs de neige, les tracés et les plans de damage. Plus qu’un outil d’aide, il permet d’optimiser la production et l’utilisation de la neige, avec un objectif clair : réduire les dépenses énergétiques. Les données sont alimentées en temps réel par sept dameuses high-tech, entièrement connectées, qui transmettent instantanément leurs passages et les épaisseurs mesurées.

Le câble métallique, long parfois de 1,2 kilomètre, relie l’engin à un point d’ancrage en amont.
Le câble métallique, long parfois de 1,2 kilomètre, relie l’engin à un point d’ancrage en amont.
Nicolas Guion

Dans les cabines, ce système est indispensable. “Le dameur voit précisément où il se trouve sur la piste, offrant ainsi une visibilité essentielle même quand les conditions extérieures sont nulles”, souligne Benjamin Soulans. Le logiciel joue aussi un rôle de planificateur : il intègre les retours des pisteurs afin d’anticiper les besoins du terrain. “Ça nous informe des tâches qu’ils veulent que nous réalisions”, précise-t-il. Selon la période de la saison, entre sept et dix personnes se relaient ainsi, en deux équipes successives, de 17 h 30 jusqu’à l’ouverture de la station.

“C’est mon grand-père qui m’a transmis cette passion”

Ce soir-là, immersion dans l’une des cabines. Aux commandes, Quentin Candelot, 27 ans, conducteur d’engins agricoles et dameurs depuis sept ans. Pour lui, ce métier est l’aboutissement d’une histoire familiale. “C’est mon grand-père qui m’a transmis cette passion de la montagne, de la neige et des machines”, confie-t-il. Son enfance, passée dans le monde agricole et en estive, a tracé un chemin presque naturel vers la dameuse, prolongement mécanique de cet attachement à la montagne.

Quentin Candelot, 27 ans, conducteur d’engins agricoles et dameurs depuis sept ans.
Quentin Candelot, 27 ans, conducteur d’engins agricoles et dameurs depuis sept ans.
Fanny Defond

Le damage, explique-t-il, est un travail d’orfèvre. “Nous commençons par remonter la neige”, dit-il, afin de refermer le manteau neigeux et de le laisser durcir, après que les passages répétés des skieurs ont tassé la neige vers le bas des pistes. Dans la cabine, joystick en main, la chorégraphie s’enclenche : “Le travail commence avec la lame frontale, avec ses dents elle racle la neige et la ramène. En jouant avec les différentes positions, on peut lisser les bosses ou apporter la neige nécessaire pour combler les creux.”

“Recherche de neige”

La signature finale se joue à l’arrière de la machine, avec la fraise. “C’est la finition, cette belle finition lisse qu’on voit”, précise Quentin. Mais rien n’est automatique : “Si tu as mal généré ta lame, tu ne feras rien de bon avec ta fraise.”Toute la difficulté réside dans ce “délicat équilibre entre les deux”, entre la puissance de la lame et la finesse de la fraise, pour offrir la qualité de glisse attendue.

Chaque soir, dès 17 h 30, l’équipe se rassemble au quartier général des services techniques.
Chaque soir, dès 17 h 30, l’équipe se rassemble au quartier général des services techniques.
Nicolas Guion

En cette période, le travail est d’autant plus exigeant que les équipes sont engagées dans la “recherche de neige”. “On effectue ce qu’on appelle des chantiers où l’on va aller chercher la neige dans les hors-pistes”, explique le jeune père de famille.

“Ce câble, on ne le voit pas”

Mais derrière la précision du geste, le danger est constant. Quentin insiste sur la menace que représente la dameuse à treuil. Le câble métallique, long parfois de 1,2 kilomètre, relie l’engin à un point d’ancrage en amont. “La dangerosité de la dameuse à treuil, c’est ce câble, on ne le voit pas”, alerte-t-il. Invisible dans la nuit et difficilement visible le jour à cause de la neige, il constitue un risque mortel pour les skieurs de randonnée ou les piétons qui s’aventurent, de jour comme de nuit, sur des pistes pourtant fermées et interdites d’accès par arrêté municipal.

“Le câble se met en tension, il peut se comporter comme un fouet”, prévient-il encore, avant de conclure sans détour : “Et cela devient une véritable guillotine. C’est une image crue, mais c’est la réalité.” Malgré toutes les précautions prises par les équipes, le message est sans ambiguïté : une station fermée demeure une zone de travail, où le respect strict des règles est une question de vie ou de mort.

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