Une semaine à respirer le derby, des crampons qui résonnent de Paul-Fines jusqu’aux vestiaires surchauffés du stade du Luc. Immersion au cœur de l’Union Athlétique Saverdunoise lors du derby ariégeois.
Vendredi soir, 19 h 30. Sur le terrain annexe du stade Paul-Fines, l’UAS (Union Athlétique Saverdunoise) se rassemble avec ce mélange d’habitude et de gravité qu’on reconnaît aux semaines de derby. Les crampons claquent sur le bitume, les épaules se tapent, les regards se cherchent déjà.
Benoît Tessarotto plante le décor, sans détour : “Ce week-end, je veux voir la même intensité que lors de notre match de dimanche contre le Toec-Toac FCTT et surtout il faut encore être plus discipliné. Saint-Girons, c’est une équipe qui va nous mettre le feu.” Les mots respirent un rugby de vérité. “Nous, on va jouer sur nos points forts : la mêlée et la puissance. On va ralentir le jeu, on va leur pourrir les sorties de rucks.”
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L’entraînement démarre en rugby touché, 4 contre 4, puis opposition avec le groupe au complet : histoire de faire monter le cœur et la voix. Ensuite, séparation : les avants à la touche, les trois-quarts aux lancements. Et très vite, la précision devient une obsession. Sébastien Falco, coach des avants, veut voir les cadres prendre le relais : “Les leaders, la charnière, je veux que vous soyez impliqués dès ce soir à l’entraînement.”
“Saverdun, ce n’est pas que du rugby”
Sur l’atelier touche, le ton monte d’un cran : “Mettez de la précision. C’est trop dilettante, faut que ça monte plus vite.” Sur l’autre moitié du terrain, le message est le même, version vitesse et percussion : “Ils vont vouloir imposer de la vitesse, nous, on va amener notre puissance, on va chaquailler les ballons dans les rucks.” Et Tessarotto revient, comme une consigne qui colle aux doigts : “On ne fait pas tomber le ballon toutes les deux passes. On doit être précis, extrêmement précis, c’est la clé.”
Le long de la main courante, une poignée de supporters et de parents scrutent tout, même ce qui ne se voit pas : l’attitude après une erreur, la réaction sur une consigne, le pas un peu plus lourd d’un joueur fatigué. “Cette année c’est dur pour eux… Mais ils ont un super état d’esprit”, glisse l’un d’eux, déjà prêt à faire le déplacement. L’entraînement, à faible intensité, dure un peu plus d’une heure. Puis tout le monde se retrouve au club-house. Là où, dans ces clubs-là, on se remémore les saisons et crée l’union sacrée au fil des repas.

Avant l’arrivée des assiettes, les entraîneurs font un point à mi-championnat. Tessarotto rappelle l’ADN : “Quoi qu’il en soit on ne lâchera rien jusqu’au bout.” Falco insiste sur le combat de première ligne : “On a beaucoup travaillé la mêlée… Vous avez renversé votre première mêlée la semaine dernière et j’espère que vous y avez pris goût parce que c’est ça qui est bandant.”
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Le discours est brut, mais l’objectif est clair : survivre en Fédérale 1, ne pas finir derniers, aller gratter ce maintien, notamment face à Castelsarrasin. Et pour y parvenir, Falco annonce un mois de janvier à trois entraînements par semaine : “On fait tapis. On tente le tout pour le tout.” Avant de revenir à l’essentiel : “Saverdun, ce n’est pas que du rugby, c’est une famille. Au-delà d’être des bons joueurs, soyez toujours des bons mecs.”
Une journée rituelle avant le combat
Dimanche matin, direction le Couserans. À Caumont, vers 11 heures, arrêt à la salle communale : pâtes, poulet, jambon, préparés par des bénévoles levés à l’aube. Vivian, rouage discret de la logistique, résume l’esprit maison : “Nos week-ends tournent autour du club… On aime ça et on ne veut pas que ça change.” Dans un coin, Mathieu Sentenac, capitaine discret, parle de fidélité : “Moi je suis au club depuis les poussins… On n’a pas les moyens d’autres clubs de Fédérale 1 mais on se bat.”
À 12 h 30, arrivée au stade du Luc. Reconnaissance de la pelouse : “Elle est parfaite, un peu grasse.” Une demi-heure plus tard sonne l’heure de la causerie : clés tactiques, puis la discipline, encore. “Dernière chose… C’est un derby… Mais il faut être discipliné”, martèle Tessarotto. Cris de guerre, bras tendus : “1, 2, 3 : UAS.”

Les Espoirs ouvrent le rideau. L’équipe une regarde, jauge, plaisante parfois pour relâcher la pression — une vanne, un sourire — pendant que d’autres s’isolent déjà, casque sur les oreilles, regard dans le vide.
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L’échauffement est court, nerveux. Les huées tombent des tribunes ; certains Saverdunois répondent par un sourire, d’autres font comme si de rien n’était. Puis le vestiaire visiteurs se referme et l’air se densifie. Ballon sous le bras, brassard rouge “entraîneur” au biceps, Tessarotto lâche les derniers mots qui cognent : “On met le reste d’énergie qu’il nous reste… Taper fort, faites mal.” Dans le couloir étroit, les Espoirs lancent le chant : “On sera toujours là, partout où tu iras, on chantera pour toi.” Et Saverdun sort, Mathieu Sentenac en tête, le casque noir déjà vissé sur la tête, le regard concentré.

Le match, puis la réalité du classement
Sur la pelouse, le derby tient d’abord sa promesse : âpre, serré, tendu. Saint-Girons et Saverdun se rendent coup pour coup. À la pause, les locaux mènent 8-6. Dans le vestiaire, Falco parle calmement, puis monte en température : “Je sais qu’on est fatigué… Mais il faut leur faire plus mal. Lancez-vous et éclatez-moi ces mecs.” Le discours vise le nerf du match : ne plus être “pas loin” à la mi-temps pour céder ensuite. “Il reste 40 minutes pour que l’Ariège soit rouge et noir. Dans ce sport-là, à ce niveau-là, dans ce club-là qui est une famille, il faut faire plus que ce qu’on peut. On va lever les bras. C’est vous qui devez y croire. Vous pouvez le faire. Vous devez le faire.”
Mais la reprise tombe comme un couperet. Sur une touche mal négociée, Saint-Girons intercepte et file derrière la ligne : l’essai qui fait basculer l’après-midi. Saverdun s’accroche, sans fermer le jeu, mais Saint-Girons fait son travail d’usure, jusqu’à arracher le bonus offensif et s’imposer 22-6.

Après le coup de sifflet final, il reste les visages marqués et les mots qui collent à la gorge. Lucas Bezard ne cherche pas d’alibi : “L’essai qu’on prend au début du deuxième acte, sur une interception, ça nous fait très mal et après on n’a pas eu le mental pour revenir.” Adrien Lacoste parle de “mauvais choix” et d’un match où Saverdun ne “prend pas le dessus”. Et Falco, lucide, finit par poser le diagnostic d’une fin d’année interminable : “On est au bout du rouleau… On ne produit pas grand-chose.”
Le derby ariégeois s’achève comme ça : Saint-Girons fête une victoire bonifiée, Saverdun encaisse une dixième défaite de suite et repart avec la trêve comme seul sas. Dans le bus du retour, il y aura la fatigue, la frustration, et cette promesse simple, répétée depuis le vendredi soir : en janvier, trois entraînements par semaine, du travail, encore du travail. Parce qu’en Fédérale 1, le maintien se gagne comme un ruck : au sol, à plusieurs, en avançant centimètre par centimètre.

