Des membres du M23 entrant dans la ville de Bukavu, dans la région du Sud-Kivu en République démocratique du Congo, le 16 février 2025. JANVIER BARHAHIGA/AP/SIPA
Un mirage plutôt qu’un miracle ? C’est ce qui ressort de l’accord de paix signé entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda le jeudi 5 décembre à Washington. Une cérémonie présidée par Donald Trump, qui se félicitait de la signature de l’accord. Mais la réalité est toute autre. Au lendemain même de sa ratification, des centaines de civils de l’est de la RDC ont fui d’intenses bombardements en passant la frontière vers le Rwanda.
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Analyse
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Des affrontements sont récurrents dans le Kivu, cette région riche en ressources et frontalière du Rwanda, en proie à des conflits depuis plus de 30 ans. Les violences s’étaient intensifiées avec la prise des grandes villes de Goma (Nord-Kivu) fin janvier et Bukavu (Sud-Kivu) en février par le groupe armé antigouvernemental M23, soutenu par Kigali et son armée.
L’accord signé laissait donc entrevoir enfin une paix pour les deux pays. Mais jusqu’ici, il n’a eu aucun effet sur le terrain. Depuis sa signature, de violents combats ont lieu, entraînant la fuite de 30 000 Congolais vers le Burundi. Mardi 9 décembre, le M23 est entré dans Uvira, une ville stratégique de l’est de la RDC. Un déferlement de violences qui a conduit à la fermeture de la frontière du Burundi. « Le Nouvel Obs » fait le point sur la situation.
· Des bombardements dès la signature
Des centaines de civils de l’est de la RDC ont passé vendredi 5 décembre la frontière vers le Rwanda, fuyant des bombardements intenses au lendemain de la ratification par Kinshasa et Kigali d’un accord censé rétablir la paix dans la région, a constaté l’AFP. De violents combats entre le M23 et l’armée congolaise, soutenue par des milliers de soldats burundais déployés à ses côtés.
Le jour même de la cérémonie de ratification, de violents combats avaient lieu. Des bombes ont été larguées « sur des écoles, des hôpitaux et des habitations civiles », a déploré Hassan Shabani, responsable administratif à Kamanyola. Les belligérants se disputent notamment le contrôle de la ville frontalière de Kamanyola, aux confins de la RDC, du Rwanda et du Burundi, et contrôlée par le M23. Le mouvement a accusé vendredi 5 décembre l’armée burundaise de tirer des bombes « sans interruption » depuis son territoire vers la RDC.
· Soutenu par le Rwanda, le M23 pénètre dans Uvira
Mardi soir, au terme d’une avancée rapide, des combattants du M23 soutenus dans l’est de la RDC par 6 000 à 7 000 soldats rwandais selon des experts de l’ONU, sont entrés par le nord de l’agglomération d’Uvira, selon des sources sécuritaires et militaires.
« Le M23 est venu en larguant des bombes », a dit un officier de l’armée congolaise (FARDC), précisant que son unité avait quitté Uvira dès 15h30 GMT.
La ville enclavée entre des montagnes et le lac Tanganyka s’est largement vidée au cours de la journée à mesure que le M23 avançait. Habitants, soldats, policiers et personnels administratifs ont fui devant la menace : « C’est le sauve-qui-peut », avait décrit un habitant joint par téléphone.
Plus de 30 000 Congolais ont fui les combats et sont arrivés au Burundi en une semaine, selon un responsable administratif local burundais et une source onusienne. « Ces réfugiés congolais manquent de tout, on n’a pas de quoi les nourrir, les soigner », a déploré le responsable local.
Partant de la localité déjà sous contrôle de Kamanyola, le M23 a surpassé une armée congolaise réputée mal organisée et en infériorité technologique, même si épaulée dans cette zone par des milliers de soldats burundais.
L’avancée du groupe armé M23 constitue un « doigt d’honneur » aux Etats-Unis quelques jours après la signature d’un accord de paix à Washington, a affirmé à l’AFP le chef de la diplomatie burundaise, qui réclame des « sanctions » contre Kigali.
· Plusieurs pays appellent le M23 et le Rwanda à cesser « immédiatement » leur offensive
Le M23 et les soldats rwandais ont commis « des exécutions sommaires, des arrestations et détentions arbitraires », et provoqué « le déplacement massif de populations », selon des experts de l’ONU dans un rapport consulté dimanche 7 décembre par l’AFP.
Le groupe d’experts de l’ONU affirme que les forces armées rwandaises (RDF) ont directement pris part à ces opérations du M23 visant Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), groupe armé formé d’anciens responsables du génocide rwandais de 1994 et réfugié en RDC.
De leur côté, les Etats-Unis et plusieurs pays européens ont exhorté mardi le groupe armé M23 et le Rwanda à cesser « immédiatement » leur offensive dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), en proie à des combats et une fuite massive de population au Burundi voisin.
Le groupe de contact pour la région des Grands Lacs (ICG) exhorte « le M23 et les Forces de défense rwandaises (FDR) à cesser immédiatement leurs opérations offensives dans l’est de la RDC, en particulier dans le Sud-Kivu, et appelle les FDR à se retirer de l’est de la RDC », a-t-il indiqué dans un communiqué commun.
Ils dénoncent « une escalade significative des combats qui fait peser un risque grave sur les populations civiles », ainsi que « le risque de déstabiliser toute la région ».
· Des accusations mutuelles de « violer » l’accord de Washington
Quelques jours seulement après la cérémonie entérinant un accord censé apporter la paix dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le président congolais Félix Tshisekedi a accusé lundi 8 décembre le Rwanda de « violer ses engagements ».
« Malgré notre bonne foi et l’accord récemment entériné, force est de constater que le Rwanda viole déjà ses engagements. Au lendemain même de la signature, des unités des forces de défense du Rwanda ont conduit et appuyé des attaques à l’arme lourde », a fustigé le président congolais dans un discours à la nation depuis Kinshasa.
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Décryptage
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Des accusations que le gouvernement rwandais a renvoyées à son émetteur, en accusant mercredi 10 décembre la République démocratique du Congo et le Burundi de « violations délibérées » des processus de paix dans l’est de la RDC, au lendemain de l’entrée du groupe armé M23, soutenu par Kigali, dans la ville congolaise stratégique d’Uvira.
« La responsabilité des violations du cessez-le-feu, des attaques en cours et des combats en province du Sud-Kivu, en RDC, ne peut être imputée au Rwanda », a réagi le gouvernement rwandais aux pays qui l’exhortent de cesser l’offensive.
Dans un communiqué, Kigali a condamné les armées congolaise et burundaise qui, selon lui, avec leurs soutiens, « bombardent systématiquement des villages civils proches de la frontière rwandaise, à l’aide d’avions de chasse et de drones d’attaque, ce que l’AFC/M23 affirme être contraint de contrer. »
· Le Burundi ferme sa frontière avec la RDC
Le Burundi a fermé sa frontière avec la République démocratique du Congo (RDC), dans la foulée de l’entrée du M23, soutenu par l’armée rwandaise, dans Uvira, ville stratégique située aux portes de la capitale économique burundaise Bujumbura, ont indiqué mercredi des sources sécuritaires burundaises. Lundi, le ministère des Affaires étrangères burundais dénonçait sur les réseaux sociaux des attaques au sol et « l’attitude belliqueuse » de Kigali. La prise de cette cité par le M23 donne une dimension régionale à la crise et constitue une menace directe aux yeux du Burundi, le coupant totalement du territoire de la RDC
Les deux postes-frontières de Gatumba et Vugizo, sont fermés depuis mardi après-midi, selon les sources sécuritaires du pays, chaque poste étant désormais considéré comme « une zone militaire », a expliqué à l’AFP un officier de l’armée burundaise. Le Burundi, qui a apporté un soutien militaire à Kinshasa dans l’est de la RDC, entretient depuis des années des relations tendues avec le Rwanda.

