Le “marché complice” du domaine d’Arton à Lectoure (Gers) met en lumière l’importance de l’artisanat alimentaire face à l’industrialisation. Le Collège culinaire de France, présent pour l’occasion, pose également la question : comment réinventer un modèle économique durable pour ces artisans ?
Au domaine Arton à Lectoure, ce samedi 6 décembre matin, les stands de la 3e édition du “marché complice” débordent de fromages, légumes, vins et flacons de safran. Derrière les étals, une question domine les échanges : “que veut-on vraiment pour notre alimentation, nos territoires et notre avenir commun ?”
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Accueillies par la famille de Montal, propriétaire du domaine, plusieurs personnes (élus, artisans, agriculteurs…) assistent à une table ronde pour tenter de répondre à cette interrogation.
Invité à cette occasion, Christian Regouby, délégué général du Collège culinaire de France, plante le décor en quelques phrases. Elles dressent implicitement le portrait de ce collectif engagé dans une démarche militante autour de l’identité de la cuisine française.

“Nous vivons dans une société où l’on essaie de gagner du temps, constate-t-il. Et plus on en gagne, plus on en manque.” Il parle d’une “épidémie de solitude”, surtout chez les jeunes, et rappelle l’importance de la présence physique, du visage, des lieux comme ce marché.

C’est en partant de ce constat qu’il a cofondé en 2011, avec de grands chefs à l’instar d’Alain Ducasse, le Collège culinaire de France. L’idée est simple : redonner une place centrale aux artisans de l’alimentation (producteurs et restaurateurs) face à “l’industrialisation et la standardisation de la nourriture”. Une réflexion qui prend de plus en plus de place dans le débat public, particulièrement en ruralité.
“La différence entre un artisan et un industriel, résume-t-il, c’est qu’il y a un homme ou une femme derrière. Il fait un métier, pas une profession. Et un métier, on ne peut pas le faire sans passion.”
Des initiatives locales qui changent la donne
Cette vision trouve un écho direct dans les politiques locales mises en avant par les élus. Patricia Marrocq, conseillère départementale, rappelle les contours du Projet Alimentaire Territorial lancé dans le Gers en 2019. Une plateforme qui regroupe aujourd’hui plus de 300 producteurs et éleveurs du département. Les collèges s’y fournissent pour leurs cantines.

“On a dû réapprendre à nos cuisiniers à travailler des produits bruts, raconte-t-elle. Au collège de Fleurance, on est à 80 % de fait maison. Les élèves mangent mieux, il y a moins de déchets, et on leur réapprend le goût.”
Autre initiative rappelée : les EHPAD ayant opté pour une alimentation fraîche et locale. “On a constaté jusqu’à 3 kg de plus par résident, moins de médicaments et surtout du lien social autour de la préparation des repas.”
“Réinventer le modèle économique”
David Taupiac, député de la deuxième circonscription du Gers, assume cette tension entre artisanat et industrie. Il alerte sur des filières de qualité dont les cahiers des charges s’assouplissent au fil du temps pour s’adapter aux modèles industriels, au risque de “dévoyer le produit d’origine”.

Mais il rappelle aussi “la force du collectif”, celle évoquée par Christian Regouby : coopératives bien gérées, organisations de producteurs, appui des politiques publiques.
Guillaume Norment produit du safran depuis 2017 dans le Gers. Aujourd’hui, il décrit un modèle aussi passionné que fragile. “On reste des artisans, des artisans de qualité, avec des produits haut de gamme mais des coûts de revient élevés qui “ne peuvent pas être acceptés par toute la population.”
Il refuse de devenir industriel et constate qu’il doit “trouver des canaux de distribution” tandis que, sur les salons et marchés, “personne n’achète”. Dans un contexte où de nombreuses exploitations ferment, il alerte : “Si on continue comme ça, on ne va avoir que de l’industrie”.
Face à ce tableau, il dénonce aussi la concurrence des importations à bas coût, citant du safran iranien vendu en magasin bio, et appelle à une meilleure protection des producteurs locaux.
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De son côté, Christian Regouby pousse le débat vers une réflexion plus large. “Nous pensons qu’à partir du moment où l’on évolue vers un système industriel, la puissance du système finit toujours par dévier les garde-fous. Il faut réinventer un modèle économique global, une nouvelle économie relationnelle, fondée sur la relation entre les individus.”

