November 19, 2025

DECRYPTAGE. Et si les journaux locaux disparaissaient ? La France face au danger des déserts médiatiques

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Une enquête réalisée par la Fondation Jean-Jaurès et Les Relocalisateurs montrent que la France pourrait être confrontée, comme les États-Unis à des déserts médiatiques. La disparition de médias locaux au profit des seuls réseaux sociaux pourrait entraîner une hausse de la désinformation et une baisse de l’engagement civique et du vote.

Aux États-Unis, en moins de vingt ans, un quart à 40 % des journaux locaux ont disparu, soit entre 2 500 à 3 500 publications qui ont cessé de paraître. Un Américain sur cinq vit désormais dans une zone sous-informée où il n’existe plus de presse locale indépendante… et où des sites de propagande, se présentant comme des médias locaux, se multiplient.

En Europe, malgré une baisse des ventes et des réductions d’effectifs, le nombre de médias locaux est resté globalement stable ces dernières années, mais le phénomène commence à s’observer au Royaume-Uni, où entre 2005 et 2018, on a constaté une perte nette de 245 titres de presse locale.

La France, qui semble mieux préservée, affronte elle aussi cette crise de l’information locale, dont l’érosion fragilise les ressorts mêmes de la démocratie. Tel est le constat dressé par l’étude « Vers des déserts médiatiques en France », réalisée par la Fondation Jean-Jaurès ; Kantar, ShoWhere et Les Relocalisateurs, qui interroge la place des médias – et surtout des médias locaux – dans la vitalité civique.

Carte de consommation de « médias locaux »
Carte de consommation de « médias locaux »

À partir d’une enquête menée auprès de plus de 10 000 Français, l’enquête révèle un lien structurant entre consommation d’information, participation électorale et engagement citoyen. Et met en lumière un risque loin d’être abstrait : l’apparition progressive de territoires où l’information professionnelle se retire, laissant place aux réseaux sociaux, à la désinformation et aux rumeurs.

L’information traditionnelle tient encore, mais vacille

En apparence, la France demeure un pays où l’on s’informe : 86 % des citoyens déclarent utiliser les médias traditionnels, la télévision en tête. La presse locale résiste, la radio garde son rôle et internet et les réseaux sociaux complètent le tableau.

Mais derrière cette diversité d’usages, le modèle se fragilise avec la disparition de titres locaux, le recul de la publicité, la faiblesse des modèles numériques et la montée en puissance de Facebook comme premier canal d’information quotidienne. Selon l’étude, cette hybridation brouille les repères, affaiblit la notion même de médiation journalistique et installe l’idée que tout « post » sur un réseau social vaut information.

Le rôle des médias locaux dans l’engagement civique

L’étude démontre pourtant que plus les Français consomment d’information, plus ils s’engagent. Les forts consommateurs de médias locaux votent ainsi massivement (87 %), participent davantage à la vie communale, et se montrent plus sensibles aux valeurs citoyennes. À l’inverse, les non-consommateurs apparaissent en retrait : moins de votes, moins d’implication et moins de confiance dans la démocratie.

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La géographie accentue également ces contrastes. Les territoires du Sud, la Bretagne ou l’Alsace bénéficient encore d’un écosystème riche. D’autres, notamment en périphérie des grandes métropoles ou dans le quart nord-est, basculent dans une forme de sous-information. Là où les correspondants de presse disparaissent, où les agences locales ferment, Facebook devient la première source d’information avec ses travers (immédiateté, fragmentation et rumeurs).

L’étude souligne par ailleurs que l’image du personnel politique reste massivement dégradée, quel que soit le niveau d’information ; preuve que la communication institutionnelle ne suffit pas à restaurer la confiance. En revanche, la perception du territoire – sentiment d’abandon, faiblesse des services publics – dépend avant tout du clivage rural/urbain, et non de la consommation médiatique. Comme si, sur ce sujet, aucune information ne parvenait plus à contrebalancer le vécu.

Que se passerait-il si les médias disparaissaient ?

Les auteurs de l’étude se sont aussi livrés à un exercice prospectif édifiant : que se passerait-il si les médias disparaissaient ? Les effets seraient immédiats : augmenter de 20 points la part des Français qui ne consomment aucun média ferait chuter la participation électorale de 7 points, et affaiblirait sensiblement l’attachement aux valeurs citoyennes. Autrement dit, là où l’information recule, la démocratie recule avec elle. Non pas de façon spectaculaire, explique l’étude, mais par affaissement progressif : un vote en moins, une rumeur en plus, une contestation sans base factuelle.

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Le risque n’est donc pas celui d’un effondrement brutal, mais plutôt d’un glissement. Des zones où l’on cesse de lire la presse locale, où la radio n’émet plus, où les rédactions disparaissent, deviennent des zones où la vie démocratique elle-même se délite. L’étude rappelle ainsi une évidence que l’on avait cessé de regarder : l’information n’est pas seulement un service, c’est bien un pilier institutionnel et là où elle se retire, la République perd un peu de sa consistance.

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