November 2, 2025

"Le vin est dans mon ADN" : Jacques Réjalot, inconditionnel de l’agriculture biologique

l’essentiel
Ils sont nombreux les agriculteurs aux portes d’Agen et il faut les écouter. Rencontre avec Jacques Réjalot, vigneron à Saint-Léon, très exactement au lieu-dit Pichon.

Jacques Réjalot est issu d’une ancestrale famille d’agriculteurs. Il aura consacré toute sa vie à la viticulture et l’œnologie.

Depuis combien d’années votre famille est-elle installée à Saint-Léon ?

Environ 450 ans, ce qui représente 14 générations. Mes ancêtres ont pratiqué la polyculture-élevage comme cela fut la règle pendant des siècles. Chaque ferme possédait alors quelques rangs de vigne pour produire le vin de sa consommation personnelle. À Pichon, le vin était beaucoup plus important avec une vraie orientation viticole. Mon père n’était pas, cependant, particulièrement attaché à la vigne bien que la production de vin ait toujours représenté une certaine importance du point de vue économique. Le vin était un des rares produits “d’exportation”, au-delà de ceux écoulés localement.

Les vendanges 2025 s’annoncent prometteuses, dans un domaine avec de vieilles vignes bien adaptées à leur terroir.
Les vendanges 2025 s’annoncent prometteuses, dans un domaine avec de vieilles vignes bien adaptées à leur terroir.
Photos Domaine de Pichon & R.B

Vous avez donc été, tout naturellement, passionné par le vin ?

Je suis le troisième fils. C’est mon frère aîné, François, qui avait tout naturellement repris l’exploitation familiale. J’ai poursuivi des études qui m’ont amené à être ingénieur agronome et Œnologue, diplômé de l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse. J’avais l’ambition de voyager, mais une opportunité s’est offerte rapidement d’être embauché à la cave coopérative des vignerons de Buzet-sur-Baïse. J’y ai passé 25 ans en tant qu’œnologue, responsable de la production.

Quel regard portez-vous sur cette tranche de votre carrière ?

J’ai connu la grande époque de cette cave dans les années 80-90. À la suite du décès de mon frère aîné, j’ai dû débuter en parallèle une activité viticole dès 1990 sur le domaine de Pichon. En 2004, j’ai pris la décision de quitter la cave coopérative. Par la suite, cette grosse coopérative qui demeurait néanmoins une petite entreprise du secteur agroalimentaire a choisi des options qui lui ont coûté cher. Pour aborder le marché de la grande distribution, elle s’est tournée vers des vins “technologiques” garantissant une qualité constante au fil des millésimes. Sa taille économique ne lui a jamais permis, cependant, d’être en position de force vis-à-vis des interlocuteurs de la grande distribution qui ont toujours pu imposer leurs prix. Cette notion de prix est particulièrement cruciale dans le domaine du vin. Notre cave, fleuron du département, a souvent été contrainte de brader ses vins pour écouler ses stocks.

Concernant votre propre production, vous avez été amené à prendre d’autres options ?

Tout à fait. Je me suis orienté vers des vins de terroir, avec une personnalité affirmée, et pris, de plus, une orientation biologique à laquelle j’étais sensibilisé depuis de nombreuses années. À la cave coopérative, je dois signaler que cette option biologique avait été envisagée mais, qu’à l’époque, il apparaissait que de s’adresser à des segments de marché très particuliers compliquait la commercialisation. À partir de 2004, j’ai restauré la maison familiale pour y implanter également des chambres d’hôtes, et je commençais en parallèle l’aventure de conduire un vignoble qui avait atteint 12 hectares avec un fermage que j’ai dû abandonner par la suite.

Pour quelles raisons ?

J’étais donc devenu consultant en viticulture et œnologie afin de faire bénéficier, à tous types d’entreprises, d’une certaine expérience dans ces domaines. N’ayant pas tout le loisir de m’occuper de mon vignoble, j’ai dû faire appel à des prestataires de services et il devenait impossible de gagner ma vie. J’ai pris alors l’option de réduire le vignoble à un peu plus de 4 hectares en continuant la démarche biologique. Je n’avais ainsi plus à être lié à des revendeurs et pouvais me contenter du marché de proximité : vente à l’exploitation, restaurateurs locaux, marchés de plein vent proches… Aujourd’hui, le vignoble ne présente plus que 2 hectares et demi car un de mes fils est, certes, intéressé pour le reprendre mais en double activité.

Que signifie concrètement cette démarche biologique ?

Je n’utilise plus de chimie pour désherber ou lutter contre les maladies. Des décoctions de plantes arrivent à résoudre l’essentiel des problèmes. Seul un peu de sulfate de cuivre (bouillie bordelaise) peut parfois être utilisé. La démarche biologique signifie que je cherche, par tous les moyens, à réduire l’impact carbone de mon activité. Il faut savoir que c’est la commercialisation (le transport lié au circuit commercial) qui impacte le plus ce bilan.
En commerçant près de chez moi (notion de circuit court) avec un véhicule qui roule au méthane produit localement, je contribue déjà à améliorer mes résultats. Le côté vertueux se retrouve également dans la récupération des bouteilles commencée grâce à un partenariat avec Valorizon. Même si le recyclage est complexe, cela représente aujourd’hui 30 % des bouteilles que j’utilise.

Dans l’élevage du vin, la notion de bio doit être également présente ?

Je pratique une fermentation naturelle sans soufre, même si cela représente quelques contraintes au niveau de l’environnement du chai. Je n’utilise pas de sulfites ou autres additifs. Je cherche à produire, vous l’aurez compris, des vins sains et originaux.

Le marché des vins biologiques est-il vigoureux ?

Les produits alimentaires bios, après une période difficile, retrouvent un peu de couleur. Cela tient au fait que les consommateurs sont, un petit peu, mieux informés des dangers de la chimie. Ceci étant la plus grosse difficulté réside dans la concurrence des vins à très bas prix, y compris de certaines appellations du Bordelais, ce qui devient totalement incohérent en particulier du point de vue environnemental : mobiliser des terres pour sortir des bouteilles à 2 € ne rime à rien. La mondialisation a amené la concurrence de vins étrangers, à des prix qui tiennent compte des législations environnementales, sociale et fiscale, qui ne sont pas du tout les mêmes que celles auxquelles nous sommes soumis.

Comment se présente votre gamme ?

Un ensemble de vins à boire jeunes, fruits d’un assemblage de six cépages : Syrah, merlot, Malbec, cabernet franc, Abouriou – cépage local caractéristique du Marmandais et cabernet sauvignon. Des vins fruités et légers que je peux proposer à partir de 4,50 € la bouteille. Je produis également des vins de garde élevés en barrique. Je ne commercialise plus que des vins rouges qui sont appréciés par ceux qui recherchent des vins de caractère. En 2023 puis à nouveau en 2024 et compte tenu de la faible quantité en particulier de cabernet sauvignon, j’ai dû abandonner l’idée d’élever des vins de garde de ces millésimes.

La gamme du domaine se présente comme un ensemble de vins à boire jeunes, fruits d’un assemblage de six cépages.
La gamme du domaine se présente comme un ensemble de vins à boire jeunes, fruits d’un assemblage de six cépages.
Photos Domaine de Pichon & R.B

Est-ce à dire que vous êtes victime du changement climatique ?

Compte tenu des évènements climatiques extrêmes (période de canicule ou de sécheresse) qui se multiplient, nous sommes dans la découverte du potentiel d’un millésime en cours d’année. Depuis 2020, pas une année ressemble à la précédente. Au 20 août, nous venions de subir notre troisième période de canicule. Je pensais que nous allions devoir vendanger très tôt comme en 2003. Et puis il a plu fin août et les températures ont subitement baissé. J’ai pris l’option d’attendre et j’ai bien fait. 2025 sera un millésime complexe, mais je pense pouvoir, de nouveau, envisager quelques vins de garde. Ce qui m’inquiète le plus dans la hausse des températures, c’est l’adaptation des hommes. Au-delà de + 38 °C, il s’avère quasi impossible de travailler efficacement. Cela va devenir un vrai problème.

Malgré toutes ces contraintes, vous semblez toujours aussi passionné ?

Le vin est dans mon ADN et ce qui me motive désormais est la transmission de mon savoir. J’interviens en de nombreuses occasions à tous les niveaux et, d’autre part, je suis un adepte du woofing (opportunités de séjour dans des fermes biologiques du monde entier), membre du conseil d’administration de Wwoof France. En tant qu’hôte, j’accueille régulièrement des jeunes du monde entier qui viennent découvrir les réalités de notre terroir et les aspects d’une agriculture familiale et respectueuse de son environnement. Ces échanges sont extrêmement enrichissants et finissent de donner du sens à toutes mes démarches depuis 45 ans.

Le vigneron est membre du conseil d’administration de Wwoof France.
Le vigneron est membre du conseil d’administration de Wwoof France.
Photos Domaine de Pichon & R.B

Jacques Réjalot est-il un vigneron heureux ?

À mon âge, j’aurai 70 ans l’année prochaine, ce qui compte est d’assurer la pérennité d’une histoire familiale. C’est la raison pour laquelle je suis Raconteur de Pays et que j’ai cherché à ce qu’un de mes fils puisse reprendre le vignoble. Je suis devenu philosophe et me concentre sur ce qui me fait plaisir. Ceci étant je serais d’autant plus épanoui si nous pouvions vivre dans un monde plus apaisé, plus respectueux d’une planète qui sait nous offrir le meilleur et que nous ne méritons pas toujours…

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