« L’Algérie, miroir du ressentiment français »

L’Algérie n’est pas seulement un pays. Dans l’imaginaire politique français, elle est devenue un miroir. Un miroir où les droites se contemplent depuis soixante ans, fascinées et révulsées à la fois. Ce que révèle le vote de l’Assemblée nationale en faveur de la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968, c’est moins une mesure juridique qu’un acte symbolique : celui d’un refoulement collectif, d’une passion triste devenue doctrine d’Etat.

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Ce que Nietzsche appelait le ressentiment éclaire cette obstination. C’est la rancune du faible qui se fait vertu, la revanche différée contre une blessure ancienne. La guerre d’Algérie fut une défaite, non militaire mais morale : la France y a perdu non seulement un territoire, mais le récit glorieux qu’elle faisait d’elle-même. Depuis, ce ressentiment se recycle sous mille formes : la nostalgie coloniale, la peur migratoire, le soupçon contre les enfants de l’immigration. L’Algérien, dans ce discours, n’est plus un individu : il est le symbole vivant d’une humiliation historique, celui qui rappelle à la France la fin de sa toute-puissance.

A ce premier pilier s’ajoute une pensée identitaire, héritée de Maurice Barrès, pour qui la nation ne se définit pas par des principes mais par des racines. L’obsession du « chez soi » s’y mêle à la peur de la contamination. L’étranger, et plus encore l’Algérien, devient l’incarnation d’un déracinement menaçant : il serait celui qui empêche la France d’être « elle-même ». Ce discours nie la réalité d’une France métissée, traversée d’histoires entremêlées, où l’Algérie n’est pas un ailleurs mais une part intime de l’ici. En exaltant la pureté, les droites effacent la vérité : la France moderne s’est bâtie avec, non contre, les siens venus d’Algérie ou d’ailleurs.

Le troisième pilier est schmittien : toute politique, disait Carl Schmitt, repose sur la distinction entre l’ami et l’ennemi. L’Algérie, et plus largement l’islam, jouent aujourd’hui ce rôle d’ennemi nécessaire. Ils unifient des droites éclatées en une même croisade symbolique. L’ennemi n’est pas choisi pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il permet : donner une cohérence à ceux qui n’en ont plus, offrir une identité à ceux qui doutent d’en avoir une. Nommer l’Algérie, c’est réactiver la fiction d’une France assiégée, menacée de disparition, mobilisée contre un adversaire commode.

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Ainsi se recompose une grammaire politique ancienne : le ressentiment comme énergie, l’identité comme refuge, l’ennemi comme ciment. Ce triptyque ne dit rien de l’Algérie réelle – ni de ses habitants, ni de son histoire contemporaine – mais tout de la France et de ses fractures. Dans le discours des droites, de Zemmour à Philippe, en passant par Le Pen ou Retailleau, l’Algérie n’est pas une nation étrangère : c’est un symptôme national.

La droite française ne parle pas de l’Algérie ; elle parle d’elle-même. De son incapacité à penser la fin de l’Empire autrement que comme une amputation. De son refus de considérer que la République, pour rester fidèle à elle-même, doit s’ouvrir plutôt que se fermer. En ce sens, chaque fois qu’un député vote contre l’accord de 1968, il ne rejette pas seulement un texte diplomatique : il rejette une part de notre histoire commune, celle qui dit que la France et l’Algérie, malgré la douleur, ne cessent de se répondre. Si la V^e République est née au cœur de la guerre d’Algérie, c’est bien notre idée de la France républicaine qui se joue aujourd’hui dans ses lointaines répliques.