Entre héritage médiéval et quête spirituelle, Serge Aronovitz perpétue l’art ancestral du tir à l’arc au cœur de la Gascogne. Arc recurve à la main, ce “Robin des Bois” des temps modernes ne chasse plus le gibier ni les hors-la-loi mais la perfection du geste et la paix intérieure, au cœur du bois de Sainte-Marie. Portrait.
L’aventure commence au bout d’un chemin de pierre blanche, longeant un ruisseau, menant à l’orée d’un bois, dans les environs de Gimont. Loin de la légendaire forêt de Sherwood, c’est ici que Serge Aronovitz, le “Robin des Bois” des temps modernes, revêt son costume d’archer. Pas de destrier à ses côtés, mais un coffre de voiture grand ouvert, avec un carquois et un protège-bas en cuir, des flèches aux plumes de rapaces aux couleurs “Sang et Or” – clin d’œil à ses attaches catalanes –, sans oublier la pièce maîtresse de sa panoplie : son “arc recurve traditionnel”.

Fabriquée à la croisée des chemins d’Europe, poignée andalouse et branches sur mesure écossaises, Sœur Diamantino – nom donné à son arc – mêle tradition et modernité. “Pour la corde, ce ne sont plus des boyaux comme au Moyen Âge ou du lin, mais des fibres issues de produits dérivés du pétrole”, précise le Montégutois Serge Aronovitz, tenant fermement son fidèle compagnon. “Cet objet m’amène beaucoup de joie, il n’y a jamais eu de peine.”
“C’est comme une cathédrale”
Une “moustache de chat” fixée à la corde et des “champignons” accrochés aux branches pour atténuer les vibrations, le Gersois s’enfonce dans le bois de Sainte-Marie, terrain de jeu vallonné de 3,5 hectares appartenant à la Compagnie des Archers Gimontois, qu’il arpente avec la dévotion d’un pèlerin. “Comment ne pas être émerveillé ? C’est beau, c’est comme une cathédrale. On s’essuierait presque les pieds avant de rentrer dans ce lieu”, commente-t-il, les yeux levés vers la cime des arbres.

Point de hors-la-loi à détrousser pour rendre justice aux pauvres, ses cibles à lui sont d’un autre genre. Dissimulés entre ombre et feuillage, 24 animaux en trois dimensions attendent la flèche qui viendra les atteindre en plein cœur. Sanglier, lynx, bouquetin, glouton… Le décor est planté.

Serge Aronovitz – “Sergueï” pour les compétiteurs – encoche, bande l’arc et décoche. Le silence de la forêt n’est troublé que par le sifflement sec d’une flèche en carbone qui file droit dans le mille. “Je n’ai pas de viseur, le viseur ce sont mes deux yeux, explique le jeune retraité de 63 ans. Quand on tire, c’est la force qui arme l’arc, mais c’est l’esprit qui dirige le vol de la flèche.”
“Là, c’est le cœur, donc une hémorragie rapide”
Les proies symboliques, tirées jusqu’à une quarantaine de mètres de distance, tombent les unes après les autres sous les pointes aiguisées : les zones vitales touchées rapportent un plus grand nombre de points. L’ancien chasseur, lui, garde ses réflexes : “Là, c’est le cœur, donc une hémorragie rapide. Au bout de 30 secondes… Ici, les poumons, il ferait peut-être 200 mètres”, analyse l’archer, accroupi sur un chevreuil. Pas une goutte de sang pourtant, juste la rigueur d’un passionné et la précision d’un quadruple champion de France de tir à l’arc 3D et de parcours nature.

Mais au-delà des titres et des points, Serge Aronovitz traque le Graal : “un état modifié de conscience”, cette impression rare où tout ce qui l’entoure se fige. “Il m’est arrivé à plusieurs reprises de voir la cible se rapprocher d’elle-même”, admet le Gascon. “On est à la fois paisible, déterminé et en même temps on est détaché d’un hypothétique résultat”, poursuit-il. Quand il quitte le bois de Sainte-Marie, après parfois plusieurs heures d’entraînement, Sœur Diamantino sous le bras, “Sergueï” ne ramène ni trophée ni butin, seulement la sérénité de celui qui a visé juste.