La reconduction de Sébastien Lecornu à Matignon met fin à plusieurs jours d’incertitude politique. Pour le politologue Roland Cayrol, ce choix illustre à la fois la difficulté du chef de l’État à trouver un profil de consensus et la lassitude d’une classe politique épuisée par l’impasse parlementaire.
Sébastien Lecornu a finalement été reconduit à Matignon. C’est le signal de quoi ?
Je crois que vraiment, l’idée du président de la République a été d’essayer de trouver une solution nouvelle du type Premier ministre de la société civile, mais qu’il n’y est pas arrivé, qu’il n’a trouvé personne qui ait envie de relever ce défi. Et donc, évidemment, dans le spectre politique, la seule solution pour lui, c’était Lecornu, parce qu’au fond, Lecornu, dans sa dernière tentative, n’avait pas réellement échoué. Il avait réussi à tisser des liens avec les différents groupes politiques, à céder sur un certain nombre de problèmes, à annoncer des débats qui jusque-là étaient refusés, par exemple sur la retraite. Et donc, au fond, Lecornu était, si on s’en tient au spectre du centre macronien, le seul candidat possible à Matignon, le seul qui pouvait encore préparer un budget et essayer de le faire passer.
Cela envoie tout de même un message particulier aux oppositions : reconduire un Premier ministre qui n’a tenu que quelques jours…
Oui, mais l’idée, c’est que l’expérience précédente n’a pas été inutile. Pendant ces poignées d’heures, il s’est quand même passé quelque chose. Il y a eu des erreurs, notamment dans la composition du gouvernement, qu’il va falloir que Lecornu change. Il va devoir choisir des ministres qui ne soient pas discutables d’un point de vue personnel ou politique. Mais il a, en même temps, montré une vraie capacité personnelle : savoir parler, expliquer, aller à la télévision. Il a plutôt réussi à passer dans l’opinion, jusqu’à monter au rang des personnalités politiques reconnues par les Français. Donc tout cela fait que la dernière tentative ne peut pas être interprétée par Macron comme un simple échec. Ça n’a pas marché complètement, mais, comme dirait l’autre, ça a failli marcher. Et l’idée, c’est qu’il faut cette fois que ça marche, aussi par lassitude de ceux qui ne voyaient plus d’issue et qui se disent qu’il faut bien donner un budget à la France. Donc voilà : on ne va pas censurer immédiatement quelqu’un qui veut essayer de nous donner un budget.
À quoi doit ressembler ce nouveau gouvernement pour calmer les oppositions ?
Je crois qu’il faut absolument éviter toute personne qui serait, de près ou de loin, candidate à la présidentielle. On ne peut plus avoir, évidemment, de Retailleau ou de qui que ce soit qui puisse être considéré comme candidat à la présidentielle. Et deuxièmement, il faut des gens qui, tout en ayant une certaine pratique de la politique, n’aient pas un passé qui soulève des problèmes du côté de l’un ou l’autre des partenaires possibles. Et puis troisièmement, il faudrait essayer de trouver quelques personnes venant de la société civile qui montrent qu’il y a en même temps une dimension de renouvellement.
Et sur le bloc central, dont beaucoup annoncent la mort ?
Dans la vérité des choses, le socle commun est de moins en moins vivant. Il y a vraiment des différences entre chacun des trois partis du socle qui se sont révélées au grand jour dans la dernière période, plus les ambitions personnelles de deux de ses dirigeants, Édouard Philippe et Gabriel Attal. Donc le socle commun en a pris un coup. Mais en même temps, face à la nomination d’un Premier ministre, on est bien forcé de retrouver les 210 députés du socle d’accord et ne faisant pas d’obstacles.
Les oppositions, de leur côté, appellent à la censure. Est-ce une menace sérieuse ?
Je crois que l’idée, c’est que si on évite immédiatement une censure socialiste, cela laisserait un peu de temps pour commencer la discussion budgétaire. Et, par ailleurs, il faut éviter que le RN et LFI votent ensemble une motion de censure. Que ce soit à chaque fois l’un ou l’autre, mais pas les deux. En évitant les deux extrêmes, avec un peu de chance, un peu de savoir-faire et beaucoup de compromis sur le budget, on peut y arriver. Mais ça fait quand même pas mal de conditions.