Un manifestant indonésien brandissant le drapeau de son pays aux côtés de celui de « One Piece », en août 2025. JUNI KRISWANTO / AFP
Indonésie, Madagascar, Maroc, France… Une même bannière est brandie depuis plusieurs semaines au milieu des manifestations : Le drapeau pirate tiré de la série japonaise « One Piece ». Ce manga, créé en 1997 par le mangaka japonais Eiichirō Oda, mettant en scène le héros Monkey D. Luffy, est le plus vendu au monde, avec plusieurs centaines de millions d’exemplaires écoulés.
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Mais depuis peu, ce pavillon emblématique de l’œuvre trouve auprès de la jeunesse mondiale une résonance très forte et est devenu le signe de ralliement de mouvements de contestation anti-régime, comme cela a pu être le cas en Indonésie ou au Népal, en s’imposant comme un symbole de liberté pour la « Gen Z », notamment contre la corruption des gouvernements. Décryptage.
• C’est quoi ce drapeau ?
C’est un pavillon noir, comme il y en a presque dans toutes les histoires de pirates. Mais ce drapeau trouve ses origines à des milliers de kilomètres, au Japon. C’est l’emblème du manga « One Piece », dont le premier tome est sorti il y a près de trente ans, en 1997. Ce drapeau est le « Jolly Roger » de l’équipage du capitaine Monkey D. Luffy. Il est noir, et composé d’un crâne au grand sourire, avec un chapeau de paille sur la tête. Le même que porte Monkey D. Luffy.
• Qu’est-ce qu’il symbolise ?
Dans l’œuvre, ce pavillon symbolise la résistance et la liberté, à l’image de l’aventure vécue par Monkey D. Luffy. et toutes les épreuves qu’il doit affronter afin de réaliser son rêve : devenir le roi des pirates. Une épopée au cours de laquelle ce personnage est confronté au racisme, à la xénophobie ainsi qu’à la corruption des plus puissants. Un monde, certes imaginé par Eiichirō Oda, mais qui résonne fortement avec l’actualité. D’autant plus que dans « One Piece », les minorités sont propulsées sur le devant de la scène. On retrouve notamment des personnages transgenres, ainsi que la thématique de l’homosexualité. Tous se battent pour leur liberté, face à l’oppression.
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Monkey D. Luffy devient ainsi malgré lui le héros de peuples opprimés, qui espèrent le voir mettre fin au règne cruel du gouvernement mondial, l’entité politique à laquelle sont soumis la majorité des royaumes et autres Etats, qui s’apparente à une oligarchie très autoritaire. Le drapeau de pirate représente donc un peu toutes ces luttes à la fois.
• Où a-t-on vu ce drapeau ?
C’est en Indonésie que le drapeau de Monkey D. Luffy a été aperçu pour la première fois, au cours de l’été 2025. Après avoir explosé sur les réseaux sociaux indonésiens, les jeunes l’ont pris comme étendard de leur révolte contre la corruption du gouvernement. Et depuis, il n’a fait que se propager dans le monde.
Au Népal, après de violentes manifestations de la « Gen Z » népalaise, puis lors d’émeutes à Madagascar, et plus récemment au Maroc. Le gouvernement marocain fait en effet face depuis plusieurs jours à une révolte de la jeunesse, qui dénonce la corruption du gouvernement et réclame un meilleur accès aux soins et à l’éducation.
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Le pavillon pirate est également arrivé en France, notamment à l’occasion des journées de manifestations des 10 et 18 septembre ainsi que du jeudi 2 octobre. Dans un rôle similaire à celui des jeunes dans les autres pays, les manifestants ont utilisé ce drapeau pour contester le gouvernement démissionnaire français ainsi que les ultrariches. Il s’est ainsi glissé parmi les étendards des organisations syndicales et de la Palestine.
• Pourquoi la « Gen Z » l’utilise dans les manifestations ?
« J’ai grandi avec One Piece, comme la grande majorité de la Gen Z, donc c’est devenu un symbole pour nous », explique à l’AFP « Kai », 26 ans, manifestant sous pseudonyme à Madagascar, où la jeunesse représente l’écrasante majorité des habitants. L’œuvre culte d’Eiichirō Oda porte un « message » évident de lutte contre les « gouvernements qui oppriment », pour le jeune malgache. Le pavillon pirate s’est imposé comme un symbole de révolte contre l’injustice.
Pour Phedra Derycke, auteur de « One Piece : Leçons de pouvoir », cette réappropriation du pavillon de Monkey D. Luffy s’explique par la dimension « universelle » de son périple. « C’est une série qui dure depuis plus d’une vingtaine d’années, vendue à des centaines de millions d’exemplaires dans le monde, et qui véhicule des idéaux de rêve, de liberté », note auprès de l’AFP l’expert.
« Derrière l’aventure de pirates accessible à tout le monde, Oda développe beaucoup de thématiques politiques : une caste dirigeante qui profite du peuple, l’esclavage, les discriminations, le racisme… », relève Phedra Derycke. Les mobilisations actuelles de la jeunesse sont le miroir, selon l’expert, de certaines scènes de « One Piece » montrant des révoltes massives contre le pouvoir en place.
Pour Elisabeth Soulié, anthropologue et autrice de « la Génération Z aux rayons X » interrogée par l’AFP, la nature « émotionnelle » de ce symbole « unificateur » joue pour beaucoup dans sa réappropriation par une génération, impossible à comprendre sans la culture numérique qui « a construit son imaginaire ». « Cette image contient de l’affect, des émotions, et celles-ci circulent à travers des représentations qui permettent de se mobiliser », souligne-t-elle, en rappelant que la génération Z se mobilise autant en ligne que sur le terrain, de manière collective, sans leader spécifique.
De fait, pour Phedra Derycke, en tant que symbole de « révolte populaire contre l’ordre établi », le drapeau pirate de Monkey D. Luffy pourrait « gagner encore en importance dans le monde »