October 4, 2025

ENTRETIEN. Gérard Miller mis en examen pour viols : "Si les faits sont avérés, c’est une industrie de la prédation", estime la journaliste qui a révélé l’affaire

l’essentiel
Cécile Ollivier, journaliste chez Elle, revient sur l’enquête-choc qui a révélé les accusations visant Gérard Miller. Avec sa consœur Alice Augustin, elle a recueilli près de 90 témoignages dans Anatomie d’une prédation, publié en avril 2024 aux éditions Robert Laffont.

Alice Augustin et vous avez été les premières à sortir l’affaire Miller. Comment tout a commencé ?

En janvier 2024, un peu avant la plainte de Judith Godrèche contre Benoît Jacquot, une séquence d’archives est ressortie : une interview du cinéaste menée par Gérard Miller, où ils parlent sans gêne de relations avec des adolescentes. Miller, qui avait un peu disparu, est alors revenu en plateau pour se justifier : “Je ne referai pas ce genre d’interview parce que MeToo est passé par là. Et avec Metoo, la fierté de la France, c’est la parole des femmes”. Après avoir assisté à cela, une femme qui connaissait une victime nous a contactées. C’est parti de là. Et on ne s’attendait pas à ce que cela prenne une telle ampleur.

Vous parlez de combien de témoignages aujourd’hui ?

Près de 90, dont sept viols et 26 agressions sexuelles. Mais il y a aussi des comportements très déplacés : propositions d’hypnose à des jeunes filles, tentatives de manipulation… Et surtout, on sait qu’il y a d’autres victimes, qui n’ont pas encore parlé.

Cécile Ollivier est grand reporter au service police-justice du magazine Elle.
Cécile Ollivier est grand reporter au service police-justice du magazine Elle.
DR

À quoi ressemblait son mode opératoire ?

Toujours des femmes très jeunes, souvent mineures ou tout juste majeures. Il repérait ses cibles sur les plateaux télé, dans les facs, ou même chez le fleuriste. Il engageait la conversation, les impressionnait avec son aura de psy, de prof, de chroniqueur… Puis il proposait l’hypnose, sous forme de jeu, d’expérience amusante ou par curiosité. Une fois les femmes allongées, celles-ci nous affirment qu’il installait un climat de confiance pour basculer dans des gestes déplacés. Et parfois des viols.

L’hypnose était-elle réellement utilisée comme technique de manipulation ?

Ce n’était pas de l’hypnose thérapeutique classique. C’était un prétexte : “Respire, détends-toi, enlève ton pull… “, rapportent les témoins. Il créait une mise en condition. D’ailleurs, toutes parlent de la même pièce japonisante, avec tentures, lumière rouge, tatamis. À chaque fois qu’une femme mentionnait cette pièce, on se disait : “C’est crédible, elle ne peut pas l’avoir inventée.”

Pourquoi cette affaire a-t-elle mis autant de temps à sortir ?

Pendant des années, les signaux faibles n’ont pas été pris au sérieux. À la télé, les techniciens disaient qu’il allait “faire son marché dans le public” et l’appelaient “Gérard t’as quel âge ?”, parce qu’il demandait sans cesse l’âge des filles. À la fac, sa secrétaire avait alerté sur des comportements déplacés. Mais rien. Et chaque victime pensait être la seule, donc restait silencieuse. C’est en voyant d’autres femmes parler qu’elles se sont senties légitimes à témoigner.

Editions Robert Laffont
Editions Robert Laffont

Et la justice, dans tout ça ?

Il y a eu une plainte dès 2003, classée sans suite. On lui aurait juste “fait la morale”. Si cette plainte avait été traitée sérieusement, beaucoup de faits non prescrits auraient pu être poursuivis. Aujourd’hui, il y a six mises en examen et un statut de témoin assisté. Et d’autres plaintes pourraient encore arriver.

Gérard Miller vous accuse de violer la présomption d’innocence…

Il est présumé innocent, bien sûr. D’ailleurs, on publie dans le livre un long mail de sa part, in extenso. On a aussi tenté de joindre son avocate. Mais notre travail, c’est de révéler des faits. On ne juge pas, on enquête. Et peut-être que si des enquêtes journalistiques sont nécessaires, c’est que la justice, pendant longtemps, a failli.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette affaire ?

Honnêtement, un profil pareil – connu, influent, psychanalyste, universitaire – avec un tel nombre de victimes et un mode opératoire aussi structuré… je ne suis pas sûre qu’on ait souvent l’occasion d’enquêter sur un tel système. Si les faits sont avérés, ça ressemble à un véritable système industriel de prédation.

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