Lors d’une manifestation à Antananarivo, la capitale malgache, le 27 septembre 2025. RIJASOLO/AFP
Le mouvement Gen Z à Madagascar, instigateur des manifestations qui ont fait au moins 22 morts selon l’ONU, a appelé à un nouveau rassemblement ce mardi 30 septembre malgré le renvoi de tout le gouvernement annoncé la veille par le président Andry Rajoelina.
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Depuis jeudi 25 septembre, le pays connaît les manifestations les plus importantes depuis la période précédant l’élection présidentielle de 2023. Boycotté par l’opposition, le scrutin avait attiré la participation de moins de la moitié des électeurs inscrits. Le chef d’Etat, lui-même arrivé pour la première fois au pouvoir à la faveur d’un soulèvement populaire en 2009 dans cette île particulièrement pauvre de l’océan Indien, tente de réagir à la contestation, motivée au départ par les incessantes coupures d’eau et d’électricité. On fait le point sur la situation.
• Quel est le bilan de ces manifestations meurtrières ?
Au moins 22 personnes ont été tuées et plus d’une centaine blessées depuis le début de la mobilisation, d’après le Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme (HCDH), qui a fait état lundi de « manifestants et de passants tués par des membres des forces de sécurité ».
D’autres ont été « tués lors des violences et des pillages généralisés qui ont suivi, perpétrés par des individus et des gangs sans lien avec les manifestants », selon le HCDH. Un bilan contesté par le ministère des Affaires étrangères malgache. L’organisme onusien a mis en cause la « force non-nécessaire » avec laquelle les forces de sécurité sont intervenues, relevant que « certains officiers ont également utilisé des balles réelles ».
« A peine sommes nous sortis dans la rue que les forces de l’ordre ont décidé de nous tirer dessus », a accusé lundi auprès de l’Agence France-Presse un porte-parole du collectif Gen Z, souhaite conserver l’anonymat par peur de représailles, pour expliquer le durcissement du positionnement du mouvement.
Outre la capitale Antananarivo, la mobilisation est particulièrement suivie dans le nord de l’île, à Antsiranana. Des rassemblements sont signalés à Fianarantsoa (centre du pays), Toliara (sud) Toamasina (est).
· Quelle est la réaction du président Andry Rajoelina ?
« Je ne dors ni la nuit ni le jour pour porter vos solutions et améliorer la situation. Vos demandes, on les a écoutées. Et je m’en excuse s’il y a des membres du gouvernement qui n’ont pas fait le travail que le peuple attendait », s’est repenti le président Andry Rajoelina durant une allocution d’un quart d’heure lundi soir durant laquelle il a limogé son gouvernement.
Contesté personnellement, le président a annoncé « mettre fin aux fonctions » de son gouvernement, y compris de l’indéboulonnable Christian Ntsay, Premier ministre depuis 2018, quand il avait été nommé par le précédent président. « En attendant la formation du nouveau gouvernement, ceux qui sont en place assureront l’intérim. Durant les trois prochains jours, nous allons recevoir les propositions de noms de Premier ministre », a ajouté le chef d’Etat, qui s’était déjà séparé de son ministre de l’Energie vendredi.
L’exercice de contrition en direct lundi soir à la télévision nationale d’Andry Rajoelina n’a pas suffi à calmer la colère des manifestants échaudés par la répression. Son appel à ce que des candidats à des postes ministériels « envoient leur CV » par courrier, mail voire « LinkedIn », a été accueilli avec moqueries sur les réseaux sociaux. « On lui a donné maintes et maintes chances !, estimait lundi une manifestante. Il nous fait des promesses d’ivrogne. Il ne pense qu’à son intérêt et l’intérêt de sa propre famille. Alors qu’ici c’est la famine qui nous tue ! »
• Quelles sont les revendications ?
Le mouvement Gen Z, baptisé en référence à la génération née avec l’an 2000, reprend à son compte le drapeau pirate tiré du manga « One Piece », signe de ralliement des contestations anti-régime, vu en Indonésie et au Népal notamment. Ce qui avait commencé comme une protestation pour l’eau et l’électricité tourne à la crise de régime pour un pouvoir éclaboussé par plusieurs scandales de corruption. Un des mots d’ordre affichés désormais par le collectif Gen Z via ses canaux est « Rajoelina, dégage » (« Miala Rajoelina »).
« Ils disent que nous sommes une génération TikTok, génération de débiles, et quand on se soulève, ils ne nous laissent pas nous exprimer », protestait lundi une étudiante manifestant dans la capitale comme des milliers d’autres Malgaches. Plusieurs protestataires affichaient lundi des pancartes « On veut vivre, pas survivre », un slogan devenu emblématique du mouvement, alors que l’île, en dépit de ses richesses naturelles exceptionnelles, reste l’un des pays les plus pauvres de la planète (75 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2022) et est classé 140e sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International.
« Monsieur Andry Rajoelina, quand c’est vous qui meniez les manifestations, on vous laissait faire, c’était ok, mais quand c’est nous les jeunes qui nous battons pour le pays, vous nous en empêchez », accuse cette jeune femme vêtue tout en noir. La consigne de s’habiller en noir a été diffusée sur les réseaux sociaux par « solidarité avec les camarades décédés ».