Spécialiste du travail et membre de l’Observatoire français des conjonctures économiques, Eric Heyer indique que la perte du pouvoir d’achat résulte avant tout de l’inflation mais que la question des cotisations mérite d’être posée.
Pourquoi le débat pour rapprocher le salaire brut du net est si prégnant dans l’actualité ?
Le sujet revient sur la table parce qu’aujourd’hui, le travail ne paie pas, ne paie plus. Les actifs et essentiellement les salariés, indiquent qu’ils ont un problème de pouvoir d’achat, ils ont plus de mal à vivre. Et quand chacun regarde son bulletin de salaire, il constate l’écart entre ce que paie l’employeur et l’argent viré sur son compte en banque.

Donc l’idée, c’est de réduire ce delta pour résoudre le problème du pouvoir d’achat. Mais pour moi, on se trompe de débat. Si on vit plus difficilement aujourd’hui, ce n’est pas à cause de la différence entre le brut et le net ; mais bien parce qu’on a connu une grosse période d’inflation. Les salaires ont certes augmenté, mais ils n’ont pas suivi les prix. Ce que nous dit l’Insee, c’est que le salarié a perdu 2,2 points de pouvoir d’achat ces dernières années, c’est énorme.
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Qu’est-ce qui explique concrètement l’écart entre un salaire brut et un salaire net ?
Il y a le salaire “super brut” et le brut. La différence, ce sont les cotisations payées par l’employeur. Entre le brut et le salaire net, ce sont les cotisations salariales. Ce qu’il faut bien avoir en tête, c’est qu’une partie de ces cotisations sont contributives : plus je cotise, plus ça m’ouvre des droits. C’est à différencier de l’impôt. L’écart entre le brut et le net, c’est en quelque sorte une assurance, certes obligatoire, mais si par malheur, on tombe au chômage : celui qui cotise plus, reçoit davantage.
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L’image du maquis en matière de cotisations est-elle pertinente selon vous ?
En France, sur un bulletin de paie, on met toutes les lignes en détail. On pourrait simplifier le tout, mais ce n’est pas le plus important. Le problème n’est pas là. Néanmoins, on peut réfléchir vraiment à ce que l’on veut financer par des cotisations, et ce qu’on veut financer par de l’impôt. Aujourd’hui, par les cotisations, on finance essentiellement les retraites, le chômage, la maladie, la famille, et la lutte contre l’exclusion et la pauvreté. Ces éléments, très sincèrement, n’ont aucune raison d’être financés par des cotisations, car ils relèvent de l’universel, et donc de l’impôt.
“Des recettes en moins qu’il faudra compenser ailleurs”
La proposition du Parti socialiste de procéder à une baisse ciblée de la contribution sociale généralisée (CSG) sur les plus bas salaires pour augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs, est-ce crédible ?
Tout est possible. La CSG a été introduite par Michel Rocard en 1991 pour justement faire reposer une partie du financement de la Sécurité sociale sur une assiette plus large. C’est-à-dire que ce ne sont pas les revenus du travail qui sont taxés, mais tout type de revenus, provenant d’un salaire, d’un revenu du capital ou d’une allocation. On peut très bien jouer sur les assiettes, avec des gagnants et des perdants. Tout ça, c’est de la tuyauterie. Mais en baissant des cotisations avec pour objectif de redonner du pouvoir d’achat aux travailleurs, ce sont des recettes en moins qu’il faudra compenser ailleurs.
La très controversée taxe Zucman pourrait financer la mesure selon le PS…
Autant quand on modifie un point de CSG, on arrive à chiffrer ce que ça pourrait représenter. Mais c’est plus compliqué de faire une évaluation sur cette taxe Zucman, raison pour laquelle elle suscite bien des débats.
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Quand Gabriel Zucman parle de 20 milliards d’euros de recettes, il a raison. Mais c’est en partant du principe que tous ceux devant se soumettre à la taxe ne rechignent pas à la payer. Il y a une probabilité très forte de voir des changements de comportement chez les concernés, et cela jouera sur le rendement espéré de l’impôt.